La rencontre du maitre
Dans son dernier livre, Matthieu raconte la rencontre avec son maitre Kangyur Rinpoche en Inde.
Kangyur lui propose rapidement un outil pour percevoir la nature de l'esprit :
D'où viennent les pensées?
Où retournent-elles?
"Le temps passé en présence de Kangyour Rinpoché agissait comme le soulagement bienvenu du voyageur qui, après des années d’errance, découvre un havre de paix et dépose son fardeau. J’avais l’impression de me trouver enfin chez moi au sein de l’existence. Tout prenait place, s’agençait sans artifice ni complication. Jamais je ne ressentis le poids du temps qui s’écoule lentement et l’ennui qu’il peut entraîner ; il se passait ici quelque chose d’essentiel, riche et précieux. Jusque-là, je savais ce que je ne voulais pas – une vie vaine, insipide, vide de sens, dispersée, désenchantée –, mais sans savoir ce à quoi j’aspirais vraiment. Désormais, les choses s’éclaircissaient : j’aspirais à suivre le chemin qui mène de la confusion à la clarté, de l’ignorance à la connaissance, de la souffrance à la félicité, et de la servitude à la liberté.
Je me remémore, à cinquante ans de distance, quelques anecdotes qui émaillèrent mon premier séjour. Un après-midi, Kangyour Rinpoché prit une cloche, la fit sonner et la tint en l’air jusqu’à ce que le son cristallin s’évanouisse dans le silence. Puis, par l’intermédiaire de son fils aîné, il me demanda, un éclat espiègle dans le regard : « Qui produit le son ? La cloche ? Le battant ? La main ? » Perplexe, mais conscient qu’il y avait là un point important à comprendre, je tentais de formuler une réponse : « N’est-ce pas l’esprit qui produit le son ? » Je n’étais pas dupe du fait que ma réponse restait très intellectuelle et ne traduisait pas une compréhension intime de ce que j’avançais. Kangyour Rinpoché porta sur moi un regard enjoué, rit et garda le silence. Sur le moment, les choses n’étaient pas claires pour moi, mais c’était en fait la première fois que Kangyour Rinpoché m’introduisait à la nature de mon propre esprit. Il avait voulu m’indiquer l’aspect indescriptible de sa nature lumineuse, dénuée de toute fabrication conceptuelle et toujours présente derrière l’écran des pensées.
En certaines occasions, au moment opportun, le maître demande au disciple d’examiner ses pensées, de les observer : d’où viennent-elles ? Où demeurent-elles ? Où disparaissent-elles ? Force est de constater notre incapacité à localiser l’origine de nos pensées et à leur attribuer des caractéristiques propres – forme, nature, localisation… Une fois disparues, elles ne sont allées nulle part : elles se sont simplement dissoutes dans la vacuité d’où elles ont surgi en premier lieu, tout comme les vagues surgissent de l’océan et y retournent. "
Matthieu Ricard
Kangyur Rinpoche