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Eveil et philosophie, blog de José Le Roy
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10 avril 2020

Pablo Servigne : Les questions de vie ou de mort nous amènent à une certaine sagesse.

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Dans le Monde du 10 avril 2020

Crise sanitaire, chômage de masse, pénuries de médicaments, risque de rupture des chaînes d'approvisionnement… Le coronavirus est-il le signe d'un effondrement à venir de notre civilisation, tel que l'ont pensé les collapsologues ?

Pour Pablo Servigne, l'un des principaux théoriciens de la collapsologie, coauteur de plusieurs livres, dont le best-seller Comment tout peut s'effondrer (Seuil, 2015), la pandémie de Covid-19 est une « crise cardiaque générale » , qui montre l' « extrême vulnérabilité de nos sociétés » . Il appelle à renforcer les solidarités, le local, l'autolimitation et l'autonomie.

Audrey Garric: La pandémie de Covid-19 constitue-t-elle un signe avant-coureur d'un effondrement à venir de notre civilisation ?

Pablo Servigne : C'est un signe avant-coureur de possibles effondrements plus graves. La pandémie montre l'extrême vulnérabilité de nos sociétés, leur degré d'interconnexion, de dépendances et d'instabilité.

Elle montre aussi très bien la stupidité, la criminalité et la contre-productivité des politiques néolibérales qui vont à l'encontre du bien commun, en ayant démantelé – entre autres – les services de santé, ou en n'ayant pas suffisamment prévu de stocks de masques.

Est-on pour autant en train de vivre un effondrement ? C'est une question pour les archéologues du futur. Ce qui me semble évident, c'est que l'on est en train de vivre une crise cardiaque générale. Plus on attend, plus les tissus se nécrosent, et plus il sera difficile de repartir comme avant.

Le piège serait de considérer cette crise comme uniquement sanitaire. En réalité, elle a des causes et des conséquences externes à la santé – économiques, écologiques, politiques, financières. C'est une crise globale, systémique. Nous n'étions pas du tout préparés à un choc aussi rapide et brutal, d'abord parce que ce n'est jamais arrivé sous cette forme, mais surtout parce que la plupart des gens ne voulaient pas y croire, malgré les avertissements scientifiques depuis des années.

Comment avez-vous réagi devant l'ampleur de la crise en cours ?

C'est paradoxal : j'anticipais beaucoup de graves crises, en particulier financière, climatique ou énergétique, mais celle-là, je ne l'ai pas vue venir, alors que je la connaissais en théorie.

Pendant quelques jours, j'ai été sidéré, anesthésié. J'ai vécu ce déni que nous décrivons dans nos livres. Lorsque j'ai changé mon quotidien, un peu avant la plupart des gens, j'ai même culpabilisé de mettre en place des mesures antisociales, par crainte de passer encore pour un catastrophiste.

La leçon que j'en tire, c'est qu'au fil des années, lassé de passer pour un oiseau de mauvais augure, d'être toujours accusé d'exagérer le propos, j'ai « lissé » ma présentation des risques : dans les conférences ou les articles, je ne citais même plus les pandémies, parce qu'elles font très peur. Je me suis pris à mon propre piège de vouloir tempérer mes propos pour parler à un grand public.

Cette crise sanitaire et économique pourrait-elle déboucher sur un effondrement généralisé ?

Cela pourrait être le cas par des enchaînements et des boucles de rétroactions, dont les conséquences sont par définition imprévisibles.

Par exemple, si la finance s'effondre, met à mal les Etats, provoque des politiques autoritaires ou identitaires, cela pourrait déboucher sur des guerres, des maladies et des famines, qui, elles, interagissent en boucle. C'est un risque, mais ce n'est pas inexorable.

Quand on voit les millions de nouveaux chômeurs, l'état des finances, la dépendance aux importations d'énergie, les tensions accumulées en France qui font qu'on a une poudrière sociale, la perte de confiance envers les gouvernements, la compétition entre pays qui s'accroît, on voit que la pandémie a considérablement augmenté les risques d'effondrement systémique.

Pourtant, on est encore loin de la définition de l'effondrement donnée par Yves Cochet [ex-ministre de l'environnement et un des penseurs de la collapsologie] : l'absence d'accès aux besoins de base (alimentation, eau, logement, santé, etc.) par des services encadrés par la loi.

On s'en rapproche potentiellement. Dans cette « crise cardiaque », le corps social est encore vivant, mais si ça continue et si des mauvaises décisions sont prises, on risque la désintégration rapide des services « encadrés par la loi ».

Avec la collapsologie, nous avons surtout mis en évidence que des grands chocs systémiques étaient possibles. Les catastrophes sont désormais la réalité de la génération présente : nous en vivrons de plus en plus tout au long du siècle. Non seulement elles seront plus fortes et plus puissantes, mais elles viendront de toutes parts (climat, économie, finance, pollutions, maladies…). Cela pourra provoquer des déstabilisations majeures de nos sociétés et de la biosphère, des effondrements.

Comment analysez-vous la réaction des gouvernements face à la pandémie ?

Le gouvernement a réagi de manière tardive et autoritaire, et assez maladroite. D'une certaine manière, on peut le comprendre car c'est la première pandémie que l'on vit depuis des décennies, et la première qui ne soit pas une grippe influenza.

Mais le problème est qu'il y a une grande défiance envers les autorités depuis des mois, voire des années, dont elles sont les principales responsables. Alors, pour être entendus, les pouvoirs publics ont dû jouer la surenchère autoritaire, ce qui va renforcer à terme la perte de confiance. C'est une mauvaise trajectoire, qui peut déboucher sur une crise sociale et politique majeure en France.

Les gouvernements réagissent aussi avec une rhétorique militaire, en faisant appel à la police et à l'armée. Je ne vois pas un état de guerre, je vois un état de siège. Comme une citadelle assiégée, tout est à l'arrêt, et pour tenir le plus longtemps possible, confinés, il nous faut prendre soin les uns des autres, réduire nos besoins, partager. L'ennemi n'est pas extérieur mais intérieur, nous devons revoir notre rapport au monde.

La vie confinée nous prépare-t-elle à la vie dans une société effondrée ?

La plupart des Français vivent encore dans de très bonnes conditions, avec de la nourriture, de l'eau, une sécurité et Internet. Mais une partie de la population est déjà effondrée en quelque sorte, les soignants, les précaires, les malades, les endeuillés.

Reste que le confinement est une expérience très intéressante de renoncement : on renonce aux transports, aux voyages, etc. Dans quels cas est-ce désagréable ou agréable ? Quand le déconfinement viendra, on aura goûté à ce qui était vraiment essentiel. Les questions de vie ou de mort nous amènent à une certaine sagesse. Cela nous apprend l'autolimitation et l'humilité, ce qui est capital pour la suite.

Beaucoup de propositions affluent déjà pour construire le « monde d'après ». Comment le voyez-vous ?

La pandémie a créé une brèche dans l'imaginaire des futurs politiques, où tout semble désormais possible, le pire comme le meilleur, ce qui est à la fois angoissant et excitant.

Il faut d'abord assurer une continuité des moyens d'existence des populations, tout en retrouvant une puissance des services publics du « soin » au sens large (alimentation, santé, social, équité, écologie…), ce qui peut se faire rapidement par des politiques publiques massives et coordonnées, de type création de la sécurité sociale, New Deal, plan Marshall, etc.

Mais une politique publique forte ne garantit pas un changement profond et structurel. C'est donc le moment de tourner la page de l'idéologie de la compétitivité et de l'égoïsme institutionnalisé et d'aller vers plus de solidarité et d'entraide.

Il faut aussi retrouver de l'autonomie à toutes les échelles (individuelle, locale, nationale). Bref, des principes inverses au monde actuel, globalisé, industriel et capitaliste; tout ce qui amène à revenir à la vie, à contrer une société mortifère. Les changements devront être sociaux et individuels, c'est-à-dire que l'enjeu est politique et spirituel. S'il manque l'une des deux faces, je pense que c'est voué à l'échec. Sans oublier le plus important, c'est un processus commun, délibératif, le plus démocratique possible.

Je suis aussi persuadé qu'on va vivre une succession de chocs qui vont restructurer nos sociétés de manière assez organique. On va un peu concevoir ces transformations mais surtout les subir. La grande question est de savoir si on arrivera à s'adapter. Quand on soumet l'organisme à des chocs répétés, il se renforce à terme, sauf si les chocs sont trop rapides et trop forts; dans ce cas, il meurt.

 

Commentaires
D
Non , je ne veux pas qu'on me laisse tranquille et la vie s'en charge avec zèle ...Mais j'ai besoin parfois pour le moral des mots de personnes libres tant que " je suis " est encore systématiquement suivi de " ceci ou cela..." Merci pour ton commentaire.
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G
ca cest une excuse ... laissez moi tranquille je suis un endormi et cela me va... pourtant si tu te sais endormi cest que tu es donc cest ok. Etre na pas besoin de rajout de ce type là.
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D
Encore une preuve de l'utilité du moins de l'intérêt du dialogue , ( tant pis si je déblatère tout seul ) :<br /> <br /> Karl Renz ( j'adore ce gars et son humour tranchant) au sujet de U.G qu'il appelle le chien qui aboie (!) : - Il est allé voir Ramana et lui a demandé : " pouvez vous me donner ce que je suis ? parcequ' il semble que vous ayez quelque chose que personne n'a ". Et Ramana a répondu : "Oui, mais peux tu le prendre ?". ça l'a mis en colère. Parce qu'il pensait être le type le plus prêt qui soit. Il avait tout fait. Mais ce petit bonhomme assis en face de lui a dit : "Mais peux tu le prendre ? " C'est la question essentielle. Tu ne peux jamais prendre Cela.-
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D
toujours plein de Sagesse ! ;)
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F
Ah oui...bon et bien je me retire sur la pointe des pieds.
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