La beauté
Ramakrishna
« Dans cette région [Haldarpukur], on donne aux enfants pour leur déjeuner du riz soufflé.
Ils le portent dans de petits paniers d’osier ou, s’ils sont très pauvres, dans un pan de leur vêtement, lorsqu’ils vont s’amuser dans les champs ou sur le chemin.
Un jour, en juin ou en juillet, alors que j’avais six ou sept ans, je suivais un chemin étroit entre deux rizières, et je mangeais de ce riz que j’avais dans un panier.
En regardant le ciel, j’y vis un magnifique et sombre nuage d’orage.
Ce nuage envahissait rapidement le ciel tout entier, et un vol de grues blanches comme neige, fuyait devant lui.
Ce contraste était si beau que mon esprit s’envola dans de lointaines régions.
Perdant toute conscience de ce qui m’entourait, je tombai, et le riz s’éparpilla.
Des gens me trouvèrent plus tard dans cet état et me portèrent dans leurs bras jusque chez mes parents.
C’est la première fois que je perdis complètement conscience dans l’extase »
L’enseignement de Ramakrishna,
Cité dans L'éveil spirituel, José Le Roy, Ed. ALmora.
L'éveil n'est pas un extase permanente sinon on ne pourrait pas vivre bien sûr, mais il peut arriver que la perception éveillée s'enflamme devant un paysage, ou une pierre d'un mur, ou un brin d'herbe.
C'est ce que nous montre ce témoignage du jeune Ramakrishna.
N'importe quoi peut nous nous faire éprouver cette beauté pure, intense.
La beauté est un autre nom du Réel, quand il n'y a plus ni de sujet, ni d'objet, mais pure présence spontanée du mystère.
La première fois que j'ai découvert ma vraie nature , le 21 mars 19993, j'ai regardé dans ma cour d'immeuble. Il y avait là deux poubelles vertes.
Je suis tombé à la renverse - physiquement - devant la beauté absolue de leur couleur verte.
Jamais je n'avais vu de vert aussi beau.
Ma perception avait soudainement été nettoyée de toute mémoire, et de tout concept.
Aujourd'hui, l'éveil est devenu plus naturel, moins extatique,
mais je sens bien que la beauté vibre toujours à la surface du Réel,
comme un feu follet,
promesse de joie et de mystère.
Il suffit d'un peu d'attention pour la laisser s'enflammer.
C'est pourquoi la contemplation de la beauté est un chemin vers l'éveil.
Voici une expérience de Giacometti qu'il connut en sortant de son atelier à Paris :
« Ce jour-là, je me souviens très exactement, en sortant boulevard Montparnasse, d'avoir regardé le boulevard comme je ne l'avais jamais vu.
Tout était autre, et la profondeur et les objets, et les couleurs, et le silence(...).
Tout me semblait autre et tout à fait nouveau(...).
C'était, si vous voulez, une espèce d'émerveillement continuel de n'importe quoi. (...)
Ce jour-là la réalité s'est revalorisée pour moi, du tout au tout :
elle devenait l'inconnu, mais en même temps
Giacometti, Journal.
Cité dans L'éveil spirituel, José Le Roy
jlr