Un nouveau livre chez Almora: Serge Carfantan
Voici le nouveau livre publié par Almora :
Connaissance de la totalité
Serge Carfantan
Serge Carfantan, docteur agrégé de philosophie, spécialiste de philosophie indienne enseigne à l'Université de Bayonne et au lycée Victor Duruy à Mont de Marsan. Il anime depuis 2000 le site Web Philosophie et Spiritualité qui propose une vision renouvelée de la philosophie, en lien avec la sagesse orientale et occidentale. Il intervient dans des conférences et il est l'auteur d'une centaine de publications dont Conscience et connaissance de soi (Presses Universitaires de Lille), et Les États de Conscience. Son site internet est un des sites de philosophie les plus visités dans le monde francophone. http://www.philosophie-spiritualite.com/
Nous savons désormais que l′univers est très ordonné, que rien n′existe de manière isolée ; nous savons qu′il n′existe pas la moindre séparation entre nous et le monde, entre nous et les autres, entre nous et l′univers. Mais nos savoirs sont encore aujourd′hui fragmentés et nous avons besoin d′une vision de la totalité du réel. Serge Carfantan tente de rassembler ici les connaissances les plus récentes qui permettent de mieux comprendre comment la diversité que nous trouvons dans le réel est tenue ensemble. Cela fait maintenant plus de quarante ans que des essais ont été développés dans cette direction, dans le sillage de la mécanique quantique, dans la vision nouvelle offerte par l′écologie, dans les perspectives étonnantes de la psychologie transpersonnelle, enfin et surtout dans la spiritualité vivante contemporaine. L′itinéraire de Serge Carfantan dans ce livre part de La Gnose de Princeton de R. Ruyer, croise en chemin Ken Wilber et Douglas Harding et prolonge pour finir les recherches d′Ervin Laszlo.
INTRODUCTION
CHAPITRE 1 PHYSIQUE, MATIERE ET CONSCIENCE
A. La physique classique et l’analyse de la matière
B. Champ d’énergie et vide quantique
C. La conscience pose la matière
CHAPITRE 2 QUESTION DE REALITE
A. De la réalité empirique à l’horreur de la situation
B. La réalité est construite de l’intérieur
C. Au bord de l’abîme
CHAPITRE 3 SUR LE MODELE HOLOGRAPHIQUE DE L’UNIVERS
A. Retour sur l’ordre impliqué
B. Le tapis holographique de l’univers et ses motifs 66
C. Marcher dans l’hologramme universel
CHAPITRE 4 TOTALITE ET SYNCHRONICITE
A. La corrélation infinie et l’événement
B. La théorie de la synchronicité
C. Potentialités de l’unité et conscience
CHAPITRE 5 TEMPS, SYNCHRONICITE ET LIBERTE
A. Un seul futur ou des futurs multiples
B. Une fissure dans le temps
C. La dimension verticale de l'intemporel
CHAPITRE 6
SUR L’INTELLIGENCE FORMELLE DANS LA NATURE
A. Le concept de champ et son extension
B. Le vivant et les champs morphiques
C. Causalité formelle, champ de conscience et mémoire
CHAPITRE 7
UNE PHILOSOPHIE DE LA PENSEE INTEGRALE
A. Les schèmes de connexion
B. Les quatre quadrants
C. Conséquences théoriques
CHAPITRE 8 VACUITE ET CHAMP UNIFIE
A. Quelques données sur le vide quantique
B. Le vide et l’information de l’univers
C. Une mémoire ondulatoire océanique
CHAPITRE 9 EXISTENCE, PLENITUDE ET VACUITE
A. Le néant comme absence d’objet
B. Plénitude et Vacuité
C. La voie sans tête
CHAPITRE 10 LE CHAMP AKASHIQUE
A. L’empreinte du champ A dans l’univers
B l’empreinte du champ A dans le vivant
C. Quelques aspects du champ A
CHAPITRE 11 217
ÉCOLOGIE ET TOTALITE
A. Le premier principe
B. La pensée écologique
C. La révolution écologique
CHAPITRE 12 COMMUNICATION TRANSPERSONNELLE ET TOTALITE
A. Transfert de l’intention
B. Transfert de pensée
C. Transpersonnel et collectif
CHAPITRE 13 LA DIMENSION SPIRITUELLE DE LA CONSCIENCE
A. Nouvelles perspectives sur la conscience et le cerveau
B. La recherche sur les NDE
C. De la conscience à la Conscience
CHAPITRE 14 CONSCIENCE DE LA TOTALITE ET EVOLUTION
A. Trois niveaux temporels
B. L’ego, la conscience et l’évolution II
C. Points de convergence et transition
CONCLUSION
Extrait :
Comme toujours dans les enseignements spirituels tout commence par une expérience. Harding raconte :
« Le plus beau jour de ma vie – ma nouvelle naissance en quelque sorte – fut le jour où je découvris que je n’avais pas de tête. Ceci n’est pas un jeu de mots, une boutade pour susciter l’intérêt coûte que coûte. Je l’entends tout à fait sérieusement : je n’ai pas de tête.
Je fis cette découverte il y a dix-huit ans, lorsque j’en avais trente-trois. Tombée soudainement du ciel, elle répondait néanmoins à une recherche obstinée ; pendant plusieurs mois, j’avais été absorbé par la question : qu’est-ce que je suis ? Que cette découverte se soit produite dans les Himalaya importe peu ; c’est pourtant, dit-on, un lieu propice à des états d’esprit supérieurs. Quoi qu’il en soit, ce jour, très clair, très calme, et cette vue du haut de la crête où je me trouvais, par-delà les brumes bleues des vallées, vers la plus haute chaîne de montagnes du monde, avec parmi ses cimes enneigées, le Kanchenjunga et l’Everest, voilà sans doute ce qui rendit cette scène digne de la vision la plus haute.
Il m’arriva une chose incroyablement simple, pas spectaculaire le moins du monde : j’arrêtai de penser. Un état étrange, à la fois alerté et engourdi, m’envahit. La raison, l’imagination et tout le bavardage mental prirent fin. Pour la première fois, les mots me firent réellement défaut. Le passé et l’avenir s’évanouirent. J’oubliais qui j’étais, ce que j’étais, mon nom, ma nature humaine, animale, toute ce que je pouvais appeler mien. C’était comme si à cet instant, je venais de naître, flambant neuf, sans pensée, pur de tous souvenirs. Seul subsistait le Maintenant, ce moment présent et ce qu’il me révélait en toute clarté. Voir, cela suffisait[1] ».
Voir et voir quoi ? Rigoureusement ? Deux jambes de pantalon couleur kaki ! Le Voir n’inclue pas la représentation d’une tête, car le voir ne contient que ce qui est réellement manifesté dans l’expérience et rien d’autre. Le voir c’est toujours ici et maintenant dans l’exactitude de la situation donnée, sans rien au-delà. Tout ce qui est représenté au-delà est seulement pensé mais pas vu. L’esprit élabore les constructions mentales de la représentation. Le mental n’est pas l’Intelligence intuitive qui voit. Il est très important de regarder de près l’accès à l’expérience de Douglas Harding. Il y a eu avant le travail souterrain du questionnement : qu’est-ce que je suis ? Puis le lâcher-prise de la promenade dans les Himalaya, puis le surgissement de la réponse spontanée, dans le relâchement complet de toute intention et ce relâchement ne donne l’éclosion de la compréhension que dans le silence du mental. Et le silence du mental, c’est la fin de la représentation : de ce que je suis. Oubli de tous les ouï-dire que j’ai pu colporter jusqu’ici sur mon essence : nature humaine, nature animale, identité sociale. En bref tout ce que j’appelle mien, ce qui est une définition par identification de la nature même de l’ego. Fin de l’ego dans le silence de la pensée. En l’absence de la pensée, il ne peut pas y avoir de « moi ». Il n’y a pas non plus de temps psychologique, avec la dictature du futur, le poids du passé et l’urgence inquiète du présent. « Seul subsistait le Maintenant, ce moment présent et ce qu’il me révélait en toute clarté ». Le flambant neuf ne peut apparaître que dans la majesté du présent, vierge de tout passé et de tout lendemain. C’est là que se situe le voir en toute clarté, désencombré de ses constructions mentales.
Ce qui est remarquable chez Harding, c’est qu’ayant goûté au voir, il y reste fidèle au lieu de revenir à ses anciennes opinions – opinions qui étaient fondées entièrement sur du ouï-dire. Or le voir ne révèle qu’une chose : le pantalon et le plastron ne débouchent sur rien. Pas de tête. Mais ce « rien » est ici et là-bas, ici et partout : « Je découvris instantanément que ce rien, ce trou où aurait dû se trouver une tête, n’étais pas une vacuité ordinaire, un simple néant. Au contraire, ce vide était très habité. C’était un vide énorme, rempli à profusion, un vide qui faisait place à tout – au gazon, aux arbres, aux lointaines collines ombragées… J’avais perdu une tête et gagné un monde[2] ».
Le ouï-dire était le regard sartrien, le regard en coin d’un autre sur moi, non pas mon regard : « c’est toujours l’autre qui a des yeux et un visage pour les encadrer ; jamais cet être-ci ». C’est par ce regard que je me suis moi-même représenté comme un corps livré au regard de l’autre. C’est dans cette vision étrangère que « je m’étais confusément représenté à moi-même comme l’habitant de cette maison qu’est mon corps, et voyant le monde à travers deux fenêtres rondes ». Seulement, à suivre exactement l’expérience, à suivre le voir, je ne découvre rien de tel. Mon expérience, en pleine lucidité, c’est une fenêtre ouverte sans « moi » pour voir, Vacuité qui est ici et partout, communiquant indéfiniment avec elle-même. Si la vacuité ordinaire, est celle de l’absence d’objet ; la Vacuité réelle n’a rien à voir avec, ce n’est pas le néant des attentes angoissées. Elle est Présence, colossale, Unité débordante à profusion et donnant sa place à toutes choses, à la multiplicité. L’Être donnant existence à toute chose. « Ce paysage superbe, intensément rayonnant dans la clarté de l’air, solitaire est sans soutien, mystérieusement suspendu dans le vide ». L’existence a cette magie extraordinaire d’être soutenue par la Vacuité, portée par l’Être, et ce qui est remarquable, tout cela « totalement exempt de ‘moi’, indépendant de tout observateur. Sa présence totale était mon absence totale, de corps et d’esprit ». Il n’y a de Présence totale qu’en l’absence totale de l’ego et l’effacement de l’ego est spontanément donnée dans l’arrêt des fluctuations du mental, parce que l’ego n’est rien d’autre qu’une forme de pensée repliée sur elle-même et se mettant au centre du monde, mais sans en être réellement le Centre.
Il n’y a rien d’extra-ordinaire dans une telle vision, au sens où elle serait une sorte de révélation mystique d’un au-delà, ni extase, ni rêve, ni révélation ésotérique. L’Éveil, c’est simple et prosaïque. Sans rire, cela ne paye pas de mine ! C’est seulement « la révélation tant attendue de l’évidence même, un moment de clairvoyance dans l’histoire confuse de ma vie ». Le sommeil de la vie ordinaire, c’est la confusion de la vigilance, avec sous ses caractères : agitation du mental, confusion de l’esprit, harcèlement du devoir-être, occupations toujours rapportées à un ailleurs, conscience de soi fondée sur la représentation mentale d’un autre, sur des ouï-dire. Quand le carnaval de la pensée prend fin, ce n’est pas quelque chose de neuf qui apparaît, mais seulement quelque chose de faux qui disparaît. « Je cessais d’ignorer une chose que… je n’avais pu voir, égaré par trop d’occupations et de faux fuyant ».
Qu’est-ce que l’Éveil alors ? « C’était une attention nue, sans jugement, à une réalité qui n’avait pas cessé de me dévisager : mon absence totale de visage. Bref, tout cela était parfaitement simple, ordinaire et direct, au-delà du raisonnement, de la pensée et des mots. En dehors de l’expérience elle-même ne surgissait aucune question, aucune référence, seulement la paix, la joie sereine et la sensation d’avoir laissé tomber un insupportable fardeau[3] ». Dans l’évidence, pas de question. L’Éveil est l’état-sans-question. Limpide, joyeux, léger. Sans le fardeau de l’ego et le poids qu’il traîne le plus souvent. L’éveil est légèreté de la conscience, mais en même temps, du sein de la Vacuité, il redonne le monde, car le paradoxe est bien pour Harding, en perdant la tête, d’avoir regagné un monde, comme si justement, pour remettre les pieds sur terre, il fallait couper la tête au mental et à ses errances dans le fantasme. Quand nous disons d’ordinaire « il a perdu la tête ! » que voulons nous dire ? Il plane, il est ailleurs, il est embarqué dans un désir délirant, bref, en réalité, il se prend la tête avec une pensée et en est totalement possédé !
En perdant la tête, au sens où le prend Harding, c’est la vision fausse du mental qui est décapitée. Le je suis est ramené à sa véritable essence qui n’est rien d’autre que la pure conscience dépourvue de toute identification. Vacuité pure et sans objet et pourtant Vacuité qui est Plénitude de l’Invisible, saturation de la Présence. Aussi comprenons-nous que dans cette droite logique, Harding ait délibérément proposé un cheminement qu’il appelle « la voie sans tête » ! Voie sans guru, sans église, sans organisation, voie de la compréhension immédiatement accessible de la Vacuité."
Serge Carfantan, Connaissance de la totalité, Almora, 2017