Romain Rolland, Ramakrishna, Vivekananda chez Almora
Je suis très heureux de vous annoncer que les éditions Almora publient ce mois-ci deux livres en poche de Romain Rolland
La vie de Ramakrishna
et
La vie de Vivekananda
Ce sont des rééditions d'ouvrages, publiés pour la première fois en 1929 et 1930
Extrait :
"À ses disciples Ramakrishna dira :
— « J’ai pratiqué toutes les religions : hindouisme, islam, christianisme, et j’ai suivi aussi les voies des différentes sectes de l’hindouisme… Et j’ai trouvé que c’est le même Dieu vers qui toutes se dirigent, par des voies différentes… Il vous faut pratiquer une fois toutes les croyances et passer par ces voies diverses… Je vois que tous les hommes se querellent, au nom de la religion : hindous, mahométans, Brahmos, Vaishnavites, etc. Et ils ne réfléchissent pas que Celui qui est appelé Krishna est appelé aussi Çiva, qu’Il a nom l’Énergie Primitive, Jésus, ou Allah ! Un seul Rama, qui possède mille noms !… Le réservoir a plusieurs ghauts (escaliers). De l’un, les Hindous puisent l’eau dans des cruches, et ils l’appellent : jal ; de l’autre, les musulmans puisent l’eau dans des outres en cuir, et ils l’appellent : pani ; d’un troisième, les chrétiens, et ils l’appellent : water… Prétendrons-nous que cette eau n’est pas jal, mais pani, ou water ? Quel ridicule !… La Substance est Une, mais elle porte des noms différents. Et chacun cherche la même Substance ; et seuls varient le climat, le tempérament et le nom… »
Que chacun suive son chemin ! S’il désire sincèrement, ardemment, connaître Dieu, qu’il soit en paix ! Il le réalisera…"
Dans ce passage, Romain Rolland raconte l'effet que produisirent les paroles de Vivekananda, alors complètement inconnu, au Parlement des religions, à Chicago, en 1893
"Le lundi 11 septembre 1893, le Parlement ouvrit ses assises. Le cardinal Gibbons siégeait au centre. Autour de lui, à droite, à gauche, les délégués orientaux : Protap Chunder Mazoombar, chef du Brahmosamaj, un vieil ami de Vivekananda, représentant les théistes de l’Inde, avec Nagarkar, de Bombay ; Dharmapala, représentant les bouddhistes de Ceylan ; Gandhi, représentant les Jaïns ; Chakravarti, représentant, avec Annie Besant, la Société théosophique. – Mais de tous, le jeune inconnu qui ne représentait rien, qui représentait tout, l’homme d’aucune secte, l’homme de l’Inde entière, aimantait les regards des milliers d’assistants. Sa fascinante figure, sa noblesse altière – et l’éclatant plumage, qui rehaussait l’effet de cette apparition d’un monde légendaire – cachaient son émotion. Il n’en a point fait mystère.
C’était la première fois qu’il avait à parler devant de telles assemblées ; et quand les délégués, présentés un à un, eurent à s’annoncer eux-mêmes au public, en une brève harangue, Vivekananda fit reculer son tour, d’heure en heure, deux ou trois fois, jusqu’à la fin de la journée.
Mais alors ce fut un jet de flamme. Dans le gris sur gris de toutes les froides dissertations, il incendia les âmes de cette foule qui écoutait. À peine eut-il prononcé les premiers mots bien simples : — « Soeurs et frères d’Amérique !… » que des centaines se levaient de leur place et l’acclamaient. Il se demanda si c’était de lui qu’il s’agissait. Il était le premier, sans s’en douter, qui fût sorti du formalisme du Congrès et qui parlât aux masses le langage qu’elles attendaient. Le silence rétabli, il salua la plus jeune des nations, au nom du plus ancien ordre monastique du monde – l’ordre védique des Sannyasins.
Il présenta l’hindouisme, comme la mère des religions, ayant apporté aux hommes ce double précepte :
— « Acceptez-vous, comprenez-vous les uns les autres ! »
Il cita ces deux beaux passages de livres sacrés :
« Qui vient à Moi, sous quelque forme que ce soit, Je viens à lui. »
« Tous les hommes peinent par des voies qui, à la fin, mènent à Moi. »
Chacun des autres orateurs avait parlé de son Dieu, du Dieu de sa secte. Lui – lui seul – parlait de leurs Dieux à tous, et les embrassait dans l’Être universel. C’était le souffle de Ramakrishna qui, par la bouche de son grand disciple, faisait tomber les frontières. Pour un instant, il n’y eut plus de Pyrénées ! Le Parlement des Religions fit une ovation au jeune orateur. Les jours suivants, il reprit la parole, dix ou douze fois. Et à chaque fois, il reprenait, avec de nouveaux arguments et la même force de conviction, sa thèse d’une Religion universelle, sans limites de temps ou d’espace, fédéralisant tous les Credo de l’esprit humain, depuis le fétichisme asservi du sauvage jusqu’aux plus libres affirmations créatrices de la science moderne, et les harmonisant en une grandiose synthèse, qui, loin d’opprimer l’espoir d’un seul, aidât tous les espoirs à croître et à fleurir, selon la nature propre de chacun. Nul autre dogme que la divinité inscrite en l’homme, et son pouvoir d’évolution indéfinie…
— « Offrez cette religion au monde, et toutes les nations du monde vous suivront. Le concile d’Açoka était celui de la foi bouddhiste. Le concile d’Akbar n’était qu’une Académie de salon. Il est réservé à l’Amérique de proclamer au globe entier que le Divin est dans toutes les religions. Puisse vous inspirer Celui qui est le Brahman des Hindous, le Ahura Mazda des Zoroastriens, le Bouddha des Bouddhistes, le Jéhovah des Juifs, le Père Céleste des chrétiens !… Le chrétien n’a pas à devenir hindouiste ou bouddhiste. Ni l’hindouiste ou le bouddhiste, chrétien. Mais chacun doit s’assimiler l’esprit des autres, sans cesser de maintenir son individualisme et de croître selon ses lois propres… Le Parlement des Religions a prouvé que la sainteté, la pureté, la charité, ne sont la possession exclusive d’aucune église du monde, et que chaque foi a produit des hommes et des femmes qui sont de sublimes exemplaires de, l’humanité… Sur la bannière de chaque religion, il sera bientôt écrit, en dépit de sa résistance : « Entr’aide et non combat. Pénétration mutuelle, et non destruction. Harmonie et paix, et non stériles discussions. »
L’effet de ces fortes paroles fut immense. Par-dessus la tête des représentants officiels du Parlement, elles s’adressaient à tous, et elles remuèrent l’opinion. La célébrité de Vivekananda instantanément rayonna ; et l’Inde entière en bénéficia. La presse américaine le reconnut : « Il est sans aucun doute la plus grande figure, au Parlement des Religions. Nous sentions, en l’écoutant, l’absurdité d’envoyer des missionnaires chez cette savante nation… »
Romain Rolland
Rolland et Tagore
Rolland et Gandhi