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Eveil et philosophie, blog de José Le Roy
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12 septembre 2011

Connaissez-vous Bernadette Roberts ?

Bernadette Roberts est une mystique chrétienne contemporaine. Deux livres d'elle sont publiés en français :
Vie Unitive. Aventure dans les Profondeurs Silencieuses de l’Inconnu, Les Deux Océans, 1990
Au centre de Soi-Même. Les deux Océans, 2000
A lire absolument.

"L’expérience acquise m’avait permis de me familiariser avec de nombreux types et niveaux de silence. Il y a un silence intérieur, un silence qui descend de l’extérieur, un silence qui met fin à l’existence et un silence qui engloutit l’univers entier. Il y a un silence du moi et des facultés : volonté, pensée, mémoire, émotions. Il existe un silence dans lequel il n’y a rien et un silence qui contient quelque chose. Enfin, il y a le silence du non-soi et le silence de Dieu. S’il était une voie à laquelle je puisse rattacher mes expériences contemplatives, ce serait précisément cette voie du silence qui sans fin se déroule et s’approfondit.

Une fois cependant, cette voie sembla s’arrêter, au moment où je pénétrai dans un silence dont je ne devais jamais complètement ressortir. […]

Non loin de chez moi, au bord de la mer, se trouvait un monastère, et les après-midi où je pouvais m’échapper, j’aimais me retrouver seule pendant quelques instants dans le silence de sa chapelle. Cet après-midi là était un après-midi comme les autres. Une fois de plus le silence m’envahit et une fois de plus j’attendis que la peur vienne y mettre fin. Mais cette fois-ci elle ne se manifesta point. Peut-être parce que cette attente était devenue une habitude ou bien à cause d’une peur réelle mais réprimée, j’éprouvai quelques instants d’incertitude, de tension, comme si je ressentais le contact de la peur. Durant ces instants d’attente, j’avais l’impression d’être au bord d’un précipice ou en équilibre sur une mince corde raide, avec le connu (moi-même) d’un côté et l’inconnu (Dieu) de l’autre. […]

J’entendis un bruit de clés ; la sœur s’apprêtait à fermer la chapelle. Il était temps de rentrer à la maison et de préparer le dîner des enfants. Il m’avait toujours été difficile de sortir brutalement d’un profond silence, car mes énergies étaient alors au plu bas et le simple fait de bouger représentait un effort comparable à la levé d’un poids mort. Cette fois, cependant, il me vint à l’esprit de ne pas penser à me lever, mais d’exécuter ce mouvement, tout simplement. Il me semble avoir appris là une intéressante leçon, car j’ai quitté la chapelle à la manière d’une plume portée par le vent. Il ne faisait pour moi aucun doute qu’une fois dehors j’allais retrouver mes énergies habituelles et mes facultés mentales ; mais ce jour-là, je connus des moments difficiles, parce que je tombais constamment dans cet immense silence. Le trajet en voiture fut une lutte continue contre l’inconscience totale, et la perspective de préparer à dîner équivalait à vouloir soulever une montagne.

Durant trois jours épuisants, je luttai pour rester éveillée et repousser le silence qui à chaque instant menaçait de me submerger. La seule manière dont je pouvais accomplir un minimum de tâches ménagères c’était de me répéter constamment ce que j’étais en train de faire : à présent j’épluche les carottes, à présent je les coupe, à présent je sors une casserole, à présent je mets de l’eau dans la casserole, et ainsi de suite, jusqu’au moment où finalement j’étais si épuisée que je devais me précipiter sur le divan. Dès que j’étais allongée je perdais aussitôt connaissance. Parfois une « absence » de cinq minutes semblait durer des heures ; d’autres fois, c’était l’inverse. Dans cet état d’inconscience il n’y avait ni rêve, ni perception de l’environnement extérieur, ni pensée, ni expérience ; il n’y avait absolument rien.

[…]

Au neuvième jour le silence s’était fait très léger et j’étais persuadée que tout allait rentrer dans l’ordre sans plus tarder. Mais à mesure que les jours passaient et que je retrouvais mon état habituel, je remarquai la disparition de quelque chose ; et il m’était impossible de mettre le doigt dessus. Quelque chose ou une partie de moi-même n’était pas revenu. Une partie de moi-même était encore plongée dans le silence. On aurait dit qu’une partie de mon esprit s’était refermée. J’incriminai la mémoire, car ce fut l’élément qui revint en dernier ; et quand je la retrouvai, je constatai combien elle manquait de relief et de vie, comme les images décolorées d’un vieux film. Elle était morte. Non seulement le passé lointain, mais aussi celui des minutes précédentes, étaient vides de tout contenu.

Et quand quelque chose est mort, on cesse vite de vouloir le ressusciter ; ainsi, quand la mémoire est morte, on apprend à vivre dans l’instant présent, comme si le passé n’existait plus. Que cela puisse alors se faire sans effort – et parce qu’il le fallait bien – était une conséquence positive d’une expérience par ailleurs éprouvante. Et même lorsque je retrouvais la mémoire pratique, je continuais de pouvoir vire sans effort dans le présent. Mais le retour d’une mémoire pratique me fit changer d’avis sur ce qui avait disparu ; je me dis que l’aspect silencieux de mon esprit était en réalité une sorte « d’absorption », une absorption dans l’inconnu, qui pour moi, bien sûr, était Dieu. C’était comme un regard fixé sur l’Inconnaissable, immense et silencieux, qu’aucune activité ne pouvait interrompre. C’était là une autre conséquence appréciable de l’expérience initiale.

Cette interprétation du silence qui s’était fait dans mon esprit (absorption) parut suffisamment convaincante pendant environ un mois ; après quoi je changeai de nouveau d’avis et me dis que cette absorption était en fait un état de conscience, une « vision » d’un genre particulier ; ainsi donc ce qui s’était produit réellement n’avait rien d’une fermeture, c’était au contraire une ouverture : rien ne manquait, « quelque chose » avait été ajouté. Mais par la suite cette idée, elle aussi, ne me parut pas correspondre à la réalité ; elle n’était pas vraiment satisfaisante ; il s’était passé autre chose et je décidai de me rendre à la bibliothèque, pour voir si l’expérience d’autrui ne me fournirait pas la clé de ce mystère.

Il m’apparut bientôt que si cela ne figurait pas dans les œuvres de Jean de la Croix, cela ne figurerait probablement nulle part. Je connaissais pourtant bien les écrits du saint, mais je n’y trouvais pas d’explication sur mon expérience personnelle et n’en trouvais d’ailleurs aucune dans toute la bibliothèque. Ce jour-là, cependant, l’explication m’apparut sur le chemin du retour, tandis que je descendais la colline, face au panorama de la vallée et des coteaux : je tournais mon regard vers l’intérieur et ce que je vis m’arrêta net dans mon élan. Au lieu de percevoir comme d’habitude le centre de mon être non localisé, je vis qu’il n’y avait plus rien ; c’était le vide ; à ce moment une vague de joie sereine m’envahit et je sus, je sus enfin ce qui manquait : c’était mon propre « moi ».

Physiquement, j’avais l’impression qu’un lourd fardeau m’avait été retiré ; je me sentais si légère que je regardai mes pieds pour m’assurer qu’ils touchaient bien le sol. Plus tard je songeai à l’expérience de Saint Paul : « A présent ce n’est plus moi mais Christ qui vit en moi », et réalisai qu’en dépit du vide où je me trouvais, personne n’était venu se substituer à moi. Aussi me dis-je que Christ ETAIT précisément cette joie, ce vide. Il était tout ce qui subsistait de cette expérience humaine. […]

Pour moi, cette expérience était la culmination de ma vocation contemplative. C’était la réponse définitive à une question qui m’avait tourmentée pendant des années : où s’arrête le « je » et où commence « Dieu » ?

 Bernadette Roberts, Vie Unitive. Aventure dans les Profondeurs Silencieuses de l’Inconnu, Les Deux Océans, 1990, pp. 19-23.

vu sur le 3ème millénaire

Commentaires
J
D’accord avec vous. José avait bien raison d’affirmer que “ La Première Personne est au-delà de toutes les déterminations. Elle échappe à toutes les classes à tous concepts quels qu’ils soient. “ D’ailleurs, comme l’exprime si bien certains dessins de M.Douglas Harding: Je suis tout. Je suis rien et en plus je suis le mystère. Un autre éveillé M. Adyashanti, écrit “Une fois réalisée, vivez votre nature essentielle. Puis enfin vour pourrez dire avec honnêteté et en toute intégrité que c’est le mystère le plus inouï. Il est insondable. Impossible à connaître. On peut seulement être ce mystère, consciemment ou inconsciemment. À l’interrogation: (Qui suis-je?), une réponse honnête vous conduira directement au silence, Le cerveau n’a pas de réponse, donc soudain il n’y a que le silence...La conscience seule demeure, et ce n’est pas même cela, car ce n’est qu’un mot ... Vous constatez qu’il n’y a rien à connaitre et l’objet de votre investigation passe de la pensée à l’être.Votre orientation totale, sur le plan spirituel, passe de connaître à être...Si vous entretenez une image de ce qu’est la Vérité, supprimez-la immédiatement, car ce n’est pas ça.. Le mystère est votre nature inhérente...Vous finissez par savoir que vous êtes ce que vous ne pouvez jamais connaître car il devient évident que vous êtes un mystère incroyable que jamais vous n’éluciderez...Celui-ci devient conscient, il s’éveille à lui-même. Il se connaît. C’est le .. C’est tout... Donc vous savez ce que vous êtes mais ce que vous êtes est le mystère.. Être consciemment ce mystère est la joie la plus sublime...<br /> Tout n’est que l’expression du mystère, l’expression de votre propre Soi.”
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?
Tout à fait Mu et c'est cette expérience de ce qui Est, que l'on ne peut jamais définir, qui est bien mieux pointée par des questions que par des réponses. En effet, même si ces dernières sont fort utiles pour resserrer le faisceau de questions afin de n'en avoir plus qu'une, elles ne doivent jamais prendre la place des questions qui pointent cette expérience dont vous parlez.<br /> Pour ce qui est du triangle,il me semble qu'aucun de ceux qui existent ne peuvent être sans l'idée du triangle. Qui pourrait créer un triangle sans en avoir une idée ?
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M
Merci beaucoup Jean-Pierre pour votre commentaire qui me touche, mais qui me semble un peu trop élogieux à mon égard.<br /> <br /> Il est vrai que la réflexion et la compréhension intellectuelle ont leur rôle à jouer pour ce qui est de "se réaliser", mais cela a une limite et, à un moment donné, cela doit être complètement abandonné pour laisser place à "l'expérience", (où il n'y plus de séparation entre l'expérimentateur et l'expérimenté. C'est donc une pure expérience, sans expérimentateur et sans expérimenté). <br /> <br /> Pour terminer voici une citation sans équivoque de Gandhi :<br /> <br /> "Dieu est Conscience. Il est aussi l'athéisme de la personne athée."<br /> <br /> p.s. : Vous pouvez m'appeler Mu tout court, le monsieur n'est pas vraiment nécessaire. <br /> <br /> Amicalement et au plaisir.
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J
M. Mu, je vous ai cité de mémoire. Je m’excuse si par erreur j’ai supposé que dans un moment de faiblesse vous auriez considéré les molécules et les photons comme étant réels. Je me rends compte que de toute évidence je faussais votre pensée. J’espère que je ne fais pas de même avec celle de M. Albert Low, ce moine zen qui à plusieurs reprises parlait de l’Un comme étant l’Unité Connaître/Être. C’est moi qui suppose que celà voulait dire que selon lui la Matière-Énergie existe de toute éternité comme la Conscience puisqu’il sagitselon lui de deux aspects d’une seule réalité <br /> <br /> Sachez M. Mu que même si je ne vous comprend pas toujours, je considère que c’est un prévilège que de posséder l’opportunité de réfléchir à partir de vos propos si bien articulés. Votre facilité à vous exprimer m’impressionne. Si j’envie vos airs de Brocas et de Wernick, j’apprécie surtout la chance que j’ai de profiter du résultat de milliers d’heures de lecture et de réflexion qui furent vôtres.<br /> <br /> José, je pourrais vous adresser exactement les mêmes remerciments. Ce sera peut-être pour une autre fois.<br /> <br /> Passons aux choses sérieuses. Vous écrivez: “Vous utilisez le mot matière comme si vous saviez ce que cela était. Or ce que vous expérimentez ce sont des vécus de consciencer. Rien d’autre. “<br /> <br /> J’ai, me semble-t-il, exprimé la même idée en écrivant: “ La matière n’est-t-elle pas tout aussi mystérieuse que la conscience? Qui connaît sa véritable nature? “<br /> “ Même s’il est évident qu’existe que la Conscience et les vécus subjectifs comme réalité connaissable (et jamais rien d’autre). “<br /> <br /> M. Le Roy, si personne ne peut connaître la matière, mais seulement des vécus subjectifs, comme vous le suggérez ( Je suis complètement d’accord ), comment pouvez vous affirmer: “ Tout est conscience. La matière est un concept vide. “ “ Je ne nie pas les lois de la science; je nie simplement que la matière soit une substance non consciente indépendante et absolue. “<br /> <br /> Remarquez José que malgré mon esprit critique, j’admet de plus en plus que votre hypothèse est loin d’être farfelue. Même si je trouve difficile de supposer que la matière soit consciente, elle m’apparait absolument pas comme indépendante mais plutôt comme faisant partie de l’Un, de l’Unité Connaître/Être, en somme de Dieu.<br /> <br /> Je termine en vous demandant ce que vous voulez dire exactement lorsque vous parlez de la Conscience comme étant la Source. J’admet qu’elle est de toute évidence la source de tous nos vécus subjectifs. J’aimerais savoir si en plus vous voulez dire qu’elle est la source de la matière, de ce concept vide, parce que celle-ci, avec ses constances universelles, serait fait d’elle, tout comme les vécus subjectifs?<br /> <br /> Amicalement
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D
si on prend le triangle (petit hommage à Jourdain) comme exemple le triangle n'existe que s'il a trois côté. Sinon il n'y pas de forme. Ce sont les côtés qui font le triangle. Je trouve que c'est une bonne image pour montrer ce qu'est le monde sans forme et le monde des formes.<br /> Sans la forme il n'y a que l'absence. Mais c'est dans la nature même de l'absence qu'on décide de mettre trois côtés. Ca donne un triangle.<br /> La conscience c'est donc la potentialité d'une forme : en gros la pure potentialité. Mais quand on dis ça on n'explique pas ce qui crée le triangle. Je doute que ce soit la même conscience. Il y aurait donc deux sortes de consciences. Une comme "toile" et une comme peintre...
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