Tara Brach : ''Le pas en arrière'' : Attention et présence ouverte.
Tara Brach
''La façon dont nous prêtons attention détermine notre expérience. Lorsque nous sommes en train de faire ou de contrôler, notre attention se rétrécit et nous percevons les objets au premier plan - l'oiseau, une pensée, un sentiment fort. Dans ces moments, nous ne percevons pas le ciel - l'arrière plan de l'expérience, l'océan de la conscience. La bonne nouvelle est que grâce à la pratique, nous pouvons intentionnellement incliner notre esprit vers le non-contrôle et vers une attention ouverte.
Mon introduction formelle à ce qu'on appelle souvent la ''présence ouverte'' s'est faite par le biais du dzogchen - une pratique bouddhiste tibétaine. Jusque-là, je m'étais entraîné à la concentration et à la pleine conscience, en me concentrant toujours sur un objet (ou des objets changeants) attentive. Dans le dzogchen, tel qu'il est enseigné par mon enseignant Tsoknyi Rinpoché, nous lâchons tout ce sur quoi notre attention se focalise et nous nous tournons vers la conscience qui est attentive. L'invitation est de reconnaître la qualité spacieuse de l'esprit, semblable au ciel - le nature vide, ouverte et éveillée de la conscience - et d'être cela.
Ma première retraite avec Tsoknyi Rinpoché a desserée merveilleusement mes amarres. Plus je me familiarisais avec la présence de la conscience, moins il y avait de saisie autour des émotions et les histoires qui maintenaient mon sentiment du moi. Les tensions dans mon corps et dans mon esprit se sont démêlées, et mon cœur s'est ouvert avec tendresse à quiconque ou quoi que ce soit qui me venait à l'esprit. J'ai quitté cette retraite, ainsi que d'autres retraites de dzogchen, me sentant assez spacieuse et libre.
Plus récemment, j'ai pris connaissance du travail de Les Fehmi, un psychologue et chercheur qui, depuis des décennies, documente cliniquement la profonde guérison qui découle du repos dans la présence ouverte. Dans les années 1960, des chercheurs ont commencé à corréler les ondes cérébrales alpha avec des états profonds de bien-être, de paix et de bonheur.
Fehmi, l'un des premiers pionniers de cette recherche, a cherché des stratégies susceptibles d'approfondir et d'amplifier les ondes alpha. Expérimentant avec des étudiants bénévoles, il a suivi leurs relevés d'EEG pendant qu'ils visualisaient des paysages paisibles, en écoutant de la musique, en regardant des lumières colorées ou en inhalant divers parfums. Mais ce n'est qu'après avoir posé la question: "Pouvez-vous imaginer l'espace entre vos yeux?" que leurs niveaux d'onde alpha ont vraiment grimpé.
Il en posa ensuite une autre: "Pouvez-vous imaginer l'espace entre vos oreilles?" Les ondes alpha des sujets ont de nouveau augmenté. Une expérimentation plus poussée a confirmé les effets de ce que Fehmi a appelé «l'attention focalisée ouverte». La clé était d'amener l'attention a se porter sur l'espace (ou l'immobilité ou le silence ou l'intemporalité), de se familiariser avec une attention non objective.
Une attention étroitement concentrée affecte tout notre corps-esprit. Chaque fois que nous nous concentrons sur l'élaboration de plans, sur notre prochain repas, sur des jugements, sur une échéance imminente, notre concentration rétrécie produit des ondes (bêta) plus rapides dans le cerveau. Nos muscles sont tendus et les hormones du stress, le cortisol et l'adrénaline, sont libérées. Bien que nécessaire pour certaines tâches, en tant qu'état permanent, cette constellation de stress nous empêche de rester en pleine santé, de faire preuve d'ouverture et de clarté mentale.
En revanche, l'attention cultivée dans la présence ouverte repose le cerveau. Cette pause prolongée du traitement des informations - des souvenirs, des plans, des pensées sur soi - amène un ralentissement des ondes cérébrales en ondes alpha. Nos muscles se détendent, les niveaux d'hormones de stress sont abaissés, le flux sanguin est redistribué. N'étant plus dans la réactivité de combat ou de fuite, notre corps et notre esprit deviennent éveillés, sensibles, ouverts et à l'aise.
Vous avez peut-être remarqué l'effet de la présence ouverte en regardant le ciel nocturne et en sentant son immensité. Ou pendant le silence au petit matin avant le lever du soleil. Ou dans ce silence palpable après une chute de neige. Nous sentons une résonnance avec de tels moments parce qu'ils nous connectent avec le sens le plus intime de ce que nous sommes. Nous sentons la profondeur de notre être dans le ciel nocturne, le mystère de ce que nous sommes dans le silence, l'immobilité. Dans ces moments de conscience sans objet, il y a un retour sans mot, une réalisation de l'être pur.
En pratiquant la présence ouverte, j'ai trouvé cela utile de considérer l'existence phénomenale - la totalité du jeu des sons et des pensées et des corps et des objets - comme le premier plan de la vie, et la conscience comme l'arrière plan. Dans la tradition zen, le passage d'une concentration fixée sur le premier plan de l'expérience au repos dans l'être pur est appelé «le pas en arrière». Chaque fois que nous sortons de la pensée ou de la réactivité émotionnelle et nous souvenons de la présence qui est là, nous faisons un pas en arrière.
Si nous nous réveillons d'une histoire limitante de qui nous sommes et que nous renouons avec notre conscience essentielle, nous faisons un pas en arrière. Lorsque notre attention se déplace d'une fixation étroite sur un objet - son, sensation, pensée - et reconnaît l'espace éveillé qui contient tout, nous faisons un pas en arrière. Nous arrivons à cette réalisation quand il n'y a nulle part où aller. Nous nous sommes détendus dans l'immensité et le silence de la conscience elle-même.
Vous pourriez vous arrêter un instant et recevoir ce monde vivant. Laissez vos sens s'éveiller et être pleinement ouverts, recevant tout uniformément, permettant à la vie d'être telle qu'elle est. Lorsque vous remarquez les changements de sons et de sensations, notez également le courant sous-jacent de la conscience - soyez conscient de votre propre présence.
Laissez l'expérience de la vie continuer à se dérouler au premier plan tandis que vous ressentez cette immobilité intérieure en arrière-plan. Devenez alors simplement cet espace de conscience, cette ouverture éveillée. Pouvez-vous sentir comment les expériences de ce monde continuent de se déployer à travers vous, sans en aucune façon affecter ou limiter l'espace inhérent de la conscience ? Vous êtes le ciel avec l'oiseau qui vole à travers; vous êtes, comme l'enseigne un dicton tibétain traditionnel:
Totalement éveillé, les sens grands ouverts.
Conscience totalement ouverte et sans fixation.''
Tara Brach, traduit de l'article The Backward Step (adapté de son livre Trouver le Refuge Véritable)