Ouvrir l'enseignement de la philosophie
Plusieurs professeurs de philosophie demandent à ce que le programme de philosophie de Terminale s'ouvre à des philosophes orientaux, notamment Nagarjuna et Mencius.
Je rajouterais Vasubandhu, Shankara et Abhinavagupta (pour commencer).
jlr
Ouvrons l'horizon de la philosophie en terminale
Des professeurs et intellectuels réunis autour de l'inspecteur d'académie Jean-Michel Lespade prônent l'élargissement du corpus des auteurs étudiés au lycée
"Dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 23 août, Souâd Ayada, présidente du Conseil supérieur des programmes, insistait sur le renouvellement des connaissances dans l'horizon intellectuel d'un lycée du XXIe siècle. Elle précisait également qu'il faut, pour moderniser les enseignements, « les reconsidérer à l'aune de l'universalisation de la culture .
Pour l'enseignement de la philosophie au lycée, que signifie une telle universalisation de la culture? Elle se jouera bien évidemment sur le programme des notions proposées à l'étude, mais aussi sur la liste des auteurs de référence. Cette liste encadre le choix des textes et des oeuvres dont chaque classe, sous la responsabilité du professeur, effectue l'étude suivie. Car si l'apprentissage de la philosophie s'ancre dans l'intelligence des questions, des problèmes et des concepts, celle-ci est indissociable de la fréquentation et de l'étude des oeuvres des philosophes issus d'horizons et de traditions philosophiques multiples.
Déjà, lors de la précédente refonte des programmes, en 2003, il avait été décidé d'élargir cette liste pour l'ouvrir à certains philosophes contemporains (Hannah Arendt, seule femme du programme à ce jour, Emmanuel Levinas, Michel Foucault) ainsi qu'à des auteurs et traditions jusqu'alors délaissés : Anselme, Ockham (pour la période médiévale), Averroès (pour la tradition arabe) ont ainsi fait leur entrée.
La prochaine réforme du lycée va-t-elle amplifier et consolider ce mouvement ou, au contraire, revenir en arrière?
Ici, les chemins bifurquent. Soit l'on campe sur la certitude arrêtée que nos classiques sont les classiques, qu'il faut et qu'il suffit d'en appeler aux quelques auteurs tenus pour élémentaires on se fera alors une idée dogmatique, réactive et très « européo-centrée » de l'universalisation de la culture. Soit l'on considère que le mouvement engagé en 2003 doit se poursuivre notamment en direction des traditions indienne ou chinoise de la philosophie, dont aucun auteur ne figure aujourd'hui dans la liste des auteurs proposés à l'étude, alors qu'il en est de majeurs.
Nouvelles perspectives
Se fermer à la perspective d'un universel élargi serait paradoxal pour un pays comme la France, qui rayonne internationalement et scolarise des élèves issus de toutes les cultures du monde, en particulier dans les établissements français à l'étranger, qui ont vocation à se développer au croisement de la pluralité des langues et des cultures.
Pour ouvrir l'horizon, on peut penser à des philosophes comme Nâgârjuna (pour la philosophie indienne) et Mencius (pour la philosophie chinoise). Leurs oeuvres principales sont désormais traduites, étudiées et commentées dans de solides travaux académiques. En complétant ainsi, raisonnablement et prudemment, la liste des auteurs au programme des classes de philosophie, on se donnera de nouvelles perspectives de lecture, d'analyse et aussi de formation des professeurs de philosophie, en relation avec les départements universitaires. Loin de mettre l'institution en difficulté, un tel enrichissement du corpus classique contribuera à porter le dialogue philosophique auquel on initie les élèves au-delà du Moyen-Orient, vers des systèmes de pensée qui ne sont ni « exotiques » ni même « étrangers », mais qui participent au questionnement et à l'élaboration d'une compréhension raisonnée de l'homme et du monde.
Les groupes d'experts du Conseil supérieur des programmes qui travaillent actuellement ont probablement pris la mesure de ces enjeux. La question appartient aussi à la réflexion collective et au débat public. Il ne s'agit pas seulement d'une liste d'auteurs et de ses effets pédagogiques, qui sont effectivement importants. Il y va aussi de la définition de la philosophie et de l'extension de son champ, en tant que le mouvement d'universalisation qui lui est essentiel s'accomplit dans la pluralisation du dialogue."
Jean-Michel Lespade, inspecteur d'académie; Stéphane Arguillère, maître de conférences en langue et civilisation tibétaine à l'Inalco; Philippe Büttgen, professeur de philosophie à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne; Emanuele Coccia, maître de conférences à l'EHESS; Marc Crépon, directeur du département de philosophie de l'Ecole normale supérieure; Françoise Dastur, professeure honoraire des universités; Natalie Depraz, professeure à l'université de Rouen; Roger-Pol Droit, CNRS, Centre Jean Pépin; Christian Godin, maître de conférences à l'université de Clermont-Ferrand; Michel Hulin, professeur émérite à l'université Paris-Sorbonne; François Jullien, philosophe, helléniste, sinologue; Frédéric Nef, directeur d'études à l'EHESS; Jacob Rogozinski, professeur à la faculté de philosophie de Strasbourg; Frédéric Worms, professeur de philosophie à l'Ecole normale supérieure; Francis Wolff, professeur émérite à l'Ecole normale supérieure; Yves-Charles Zarka, professeur émérite à l'université Paris Descartes-Sorbonne et « global professor » à Pekin University