La mystique non duelle de Maitre Eckhart
Le désert de la Divinité quand personne n'est à la maison.
Dans l'essence de l'âme, aucun grain de poussière ne peut jamais tomber.
Si seulement l'âme restait dedans, elle aurait tout.
C'est sa nature d'être sans nature.
Devenez Pur comme vous ne l'avez jamais été, n'ayez ni ceci, ni cela ; alors vous serez omniprésent et, n'étant ni ceci ni cela, vous serez toute chose.
Dieu n'attend qu'une seule chose de vous, et cette chose est que vous sortiez de vous-même tant que vous êtes un être créé pour laisser Dieu être Dieu en vous. »
COMMENTAIRES DE RICHARD LANG
"Maître Eckhart (~1260-1328) est né près de Erfurt, en Thuringe (Allemagne) et devint, à l'issue d'une brillante carrière, professeur de théologie à Paris. Il enseigna également à Cologne et eu un rôle de premier plan d'enseignant et d'organisateur au sein de l'Ordre dominicain. Il donnait ses sermons au peuple en allemand, et non en latin, et eu une influence significative sur d'autres mystiques de cette époque - Suso, Tauler, Ruysbroeck. Vers la fin de sa vie, il tomba en disgrâce. Nombre de propositions extraites de ses écrits furent considérés comme des hérésies par l'Eglise. Aujourd'hui, cependant, il est considéré par beaucoup comme l'un des plus grands mystiques de l'Europe médiévale - peut-être un des plus grands mystiques chrétiens de tous les temps.
Comme tous les vrais mystiques, Eckhart parle de sa propre expérience de première main, et pas simplement de ce qu'il a lu ou qu'on lui a dit de croire. Quoiqu'il en soit, il s'éveilla à sa propre véritable nature, au Soi le plus intime : le " désert " qui est vide de toute caractéristique, vide de toute chose ( il utilisa d'autres mots comme Abysses, Néant). Ce " désert de la Divinité " est également la " Capacité " de Thomas Traherne, le Vide du Bouddhisme ou nature de Bouddha, le Visage Originel du zen. C'est le Bien-Aimé des Soufis et le Soi de Ramana Maharshi et de la tradition indienne de l'Advaïta.
Lorsque nous jetons un regard dans le désert de notre vraie nature, vers notre véritable centre, nous ne trouvons personne dans la maison. Notre " soi " est absent. Cette vision n'est pas le résultat dune vertueuse discipline mais simplement la manière dont les choses sont faites. Au centre, il n'y a personne à la maison, sauf la Divinité (ce qu'Eckhart a dit simplement : " Dieu est dedans, je suis dehors "). Regardez au bon endroit (juste là où vous êtes), de la bonne façon (l'esprit ouvert) et vous verrez le vide qui est plein du monde depuis vos propres mains et pieds jusqu'à l'étoile la plus éloignée. Le désert de votre véritable nature fleurit alors comme le vivant univers.
Nous découvrir nous-mêmes absent comme ceci, débarrassé de notre image, est un profond soulagement. Un énorme fardeau se lève de nos épaules. Le soulagement et la guérison, la paix et la liberté sont des droits dont nous avons tous hérité à notre naissance.
L’« essence de l’âme » est claire comme l’eau ou l’air – pas le moindre grain de poussière ne peut s’y déposer. Et rien ni personne ne peut la tacher – qu’importe ce que nous ayons fait, pensé ou ressenti. Eckhart nous invite à nous éveiller à cette Claire Lumière, à nous réjouir de la Divinité, à boire à cette fontaine qui jamais n’est tarie. Elle nous rafraîchira. Elle nous donnera également la vie éternelle - parce que c'est sa nature. Au beau milieu de nos vies attachées au temps, au milieu de nos cœurs, demeure un lieu hors du temps, le noyau mystérieux qui est nous tous. Lorsque nous demeurons dans l'état de " Non-Chose " que nous sommes, toutes les choses se surajoutent. Nous sommes Capacité pour le monde. En réalité, l'ensemble du monde est né de cet état de Non-Chose, de qui nous sommes vraiment. En nous identifiant à " ceci " ou " cela ", nous nous excluons nous-mêmes de l'univers, tout en en devenant un produit. Mais en nous éveillant à notre vide fondamental, nous découvrons que nous sommes la source de tout. Du silence naissent les sons et les mots, du non-esprit, surgissent les pensées et les sentiments, de cet Abysse sont nées les étoiles au-dessus, la terre en dessous, les gens que nous croisons et notre propre corps.
Parce que qui nous sommes vraiment est Non-Chose, nous sommes partout, nous sommes tout. Etre limité à notre apparence, seulement à notre identité humaine - unique et précieuse comme l'est chacun d'entre nous - c'est être ici et non là, maintenant et non à un autre moment. Ceci est une vérité évidente. Ce qui est également évident, mais moins bien accepté comme tel, c'est l'envers de la médaille: notre omniprésence en temps que source.
Où mène cette prise de conscience ? Elle conduit à laisser Dieu vivre nos vies. La plus simple et la plus profonde des vérités (que notre être profond est Dieu) conduit à accepter et se soumettre effectivement à dieu. Cela signifie laisser Dieu être Dieu en nous.
Tous les Chercheurs sont éveillés à la vérité de leur identité la plus profonde, et pratiquent l'abandon à cette vérité, à la réalité des choses telles qu'elles sont. Cependant, lorsqu'un Chrétien déclare qu’il est dieu, l’Eglise se fâche. Il y a une bonne raison à cela : cette déclaration est potentiellement une folie. Si cette déclaration se rapporte simplement à notre soi humain, alors il s’agit de la pire forme d’orgueil et, effectivement, d’une profonde folie. Mais lorsque cette déclaration – et celui qui s’y abandonne- concerne notre plus profonde identité, en deçà et au-delà de notre humanité, alors la déclaration - et celui qui s’y abandonne- sont sains. A partir de là, notre sur-identification quotidienne avec notre soi humain, avec le visage que nous voyons dans le miroir, avec notre corps et notre pensée est reconnue comme étant excentrique, comme une perspective «à côté de la plaque » de ce qu’est vraiment la réalité. Une telle sur-identification étouffe la conscience de notre véritable soi, détourne notre attention de notre état de «Non-Chose/Toute-Chose », de notre absence de visage qui accueille chaque visage du monde comme le sien propre.
L’éveil spirituel implique un changement profond et vaste dans nos vies : passer d’une vie basée sur le mensonge selon lequel nous serions uniquement humain à une vie basée sur la vérité de qui nous sommes vraiment.
Eckhart nous lance un appel à travers six siècles et demi en nous invitant à l’éveil et à faire confiance à ce qui est le plus intime et le plus vital en chacun de nous. Puissions-nous tous découvrir et mettre en valeur cet extraordinaire trésor intérieur".
Richard Lang