Les Présocratiques
Les Nouveaux chemins de la connaissance par Adèle Van Reeth
La pensée avant Socrate
1/4 Parménide
avec Lambros Couloubaritsis : professeur émérite à l’Université Libre de Bruxelles, où il a enseigné la philosophie ancienne et médiévale, ainsi que la métaphysique, et membre de l’Académie Royale de Belgique
Auteur de La Pensee de Parmenide, Ed. Ousia, 2009
Le texte du jour
« Il faut dire ceci et penser ceci : « Ce qui est dans le présent » est ; car il est être, alors que le néant n’est pas. Ces choses, je t’exhorte à les méditer. D’abord, en effet, je te mets en garde contre ce chemin de recherche, ensuite, contre cet autre, en lequel s’égare les mortels qui ne savent rien, doubles-têtes ; car l’embarras qui est dans leur poitrine dirige une pensée errante ; ils se laissent porter, à la fois sourds et aveugles, effarés, race sans discernement, qui ont tenu le venir à l’être et le ne pas être comme étant le même et pas le même ; leur voie à tous est une voie qui va et revient sur ses pas.
Jamais en effet on ne forcera ceci : faire être les choses qui ne sont pas dans le présent. C’est pourquoi, toi, écarte ta pensée accomplie de ce chemin de recherche et ne laisse pas l’habitude née de multiples épreuves t’entraîner de force sur ce chemin, pour diriger un regard sans but, ainsi qu’une ouïe bruyante et une langue, mais juge au moyen d’une argumentation la critique multiplement polémique que j’ai proféré moi-même.
Il ne reste encore qu’une seule façon autorisée de parler concernant le chemin : celle qui dit qu’il est et comment il est. Sur lui, il y a des signes, plutôt nombreux, indiquant qu’étant dans le présent, inengendré, il est aussi impérissable, tout d’une seule souche, inflexible et achevé. »
Parménide, Peri Physeos (De la nature) ; fragments 6, 7 et 8
2/4 Anaxagore
avec Arnaud Macé : maître de conférences en philosophie à l’université de Franche-Comté
Co-auteur, avec Luc Brisson, Anne-Laure Therme, de Lire les présocratiques, Ed. PUF, 2016
Le texte du jour
Les autres choses participent de tout ; seul le nous est infini, agissant par lui-même, sans mélange avec aucune chose; il subsiste seul isolé à part soi. Car s'il n'était pas à part soi, mais mêlé à quelque autre chose, il participerait de toutes choses, en tant que mêlé à celle-là, puisqu'en tout il y a une part de tout, ainsi que je l'ai déjà dit ; et ce mélange l'empêcherait d'actionner chaque chose, comme il peut le faire, étant isolé à part soi. C'est, de toutes choses, ce qu'il y a de plus subtil et de plus pur ; il possède toute connaissance de tout et sa force est au plus haut degré. Tous les êtres animés, grands et petits, sont actionnés par le nous ; mais, dès le commencement, c'est lui qui a produit la révolution générale et en a donné le branle. Tout d'abord cette révolution n'a porté que sur peu de chose, puis elle s'est étendue davantage et elle s'étendra encore, toujours de plus en plus. Ce qui est mêlé, ce qui est distinct et séparé, le nous en a toujours eu connaissance complète ; il a tout ordonné comme il devait être, tout ce qui a été, est maintenant et sera plus tard, et aussi cette révolution même qui entraîne les astres, le Soleil, la Lune, l'air et l'éther, depuis qu'ils sont distincts. C'est cette révolution qui a amené leur distinction, et qui distingue aussi le dense du dilaté, le chaud du froid, le lumineux de l'obscur, le sec de l'humide. Il y a beaucoup de parts dans beaucoup de choses ; mais il n'y a jamais distinction complète, séparation absolue entre une chose et une autre, sauf pour le nous. Tout le nous est semblable, le plus grand et le plus petit ; il n'y a, par ailleurs, aucune chose qui soit semblable à aucune autre, mais chacune est pour l'apparence ce dont elle contient le plus.
Anaxagore, De la nature, Fragment 6 (B12), in Pour l’histoire de la science
3/4 Héraclite
avec Heinz Wismann : directeur d’études à l’EHESS
Le texte du jour
« Or, du discours qui est celui-là, les hommes vivent toujours loin par l’intelligence, avant d’écouter, comme après qu’ils l’ont écouté une première fois. Car toute chose vit suivant le discours qui est celui-là si bien qu’on les voit, dans l’apparence, ignorer ce qu’ils pratiquent, dits et actes, tels ceux que moi-même je développe jusqu’au bout, divisant chacun selon la nature qu’il a, et montrant comment il est fait. Les autres hommes ignorent tout ce qu’ils font dans l’éveil et tout ce qu’ils oublient dans le sommeil. »
Aphorisme n°1 d’Héraclite, trad. Jean Bollack et Heinz Wismann, dans Héraclite ou la séparation, Minuit, 1972, p.59
4/4 Empédocle
Anne-Laure Therme
Co-auteur, avec Luc Brisson, Arnaud Macé, de Lire les présocratiques, Ed. PUF, 2016
Le texte du jour
« L'Amour et la Haine de même qu'ils étaient auparavant, de même ils seront, et jamais, je pense, / Le temps infini ne sera vide de ce couple. / Je parlerai du double processus des choses : car tantôt l'Un grandit, demeurant seul, / A partir du Multiple, tantôt au contraire il se divise et de l'Un naît le Multiple. / De ce qui est mortel il y a donc double naissance et double destruction : / L'union de toutes choses provoque la naissance et la destruction/ Et d'autre part, ce qui est formé, s'envole en tous sens lorsque les éléments se séparent. / Et ces éléments ne cessent jamais leur continuel échange, / Tantôt tout s'unifie grâce à l'Amour, / Tantôt, à nouveau, chaque élément se sépare, emporté par la force hostile de la Haine. / Ainsi, dans la mesure où ils ont le pouvoir de venir à l'Un à partir du Multiple / Et, à nouveau, quand l'Un se dissout et que le Multiple en naît, / Dans cette mesure ils viennent à l'être et n'ont pas de vie immuable. / Mais, dans la mesure où ils ne cessent jamais leur perpétuel échange, / Dans cette mesure ils demeurent toujours immuables selon le cycle. »
Empédocle, Katharmoi/Purifications, Fragments 16-17