L'être sans le dire : José Le Roy et Franck Terreaux
Ce week-end j'ai passé quelques jours avec Franck Terreaux à la campagne. Cela a été l'occasion de jouer au baby foot, de boire quelques bons verres de vin et de parler de l'éveil. J'ai posé les questions suivantes à Franck.
jlr
José Le Roy : Franck, tu as écrit deux livres sur l’éveil et l’art de ne pas faire. Des gens viennent te rencontrer. Comment leur parles-tu de l’éveil ?
Franck Terreaux : Ces personnes sont en recherche ; j’essaye de leur montrer que la recherche fait défaut.
Jlr : C’est-à-dire ?
Franck : Elle nuit à la compréhension. Quand il n’y a pas de recherche ; il n’y a pas de chercheur. C’est comme si tu voulais aller à un endroit alors que tu y es déjà. Cela t’empêche de le voir ; c’est déjà là comme le nez au milieu de la figure. C’est le processus de recherche qui t’empêche de le voir. Tu cherches quelque chose, tu es dans ta tête, et tu ne vois pas ce qui est là. Les gens partent dans la tête, et non dans le ressenti. Le ressenti est toujours là. Tu arrives toujours après les événements. La sensation est toujours là ; le moi arrive toujours après ; il a toujours un temps de retard. Le moi vient nous emmerder. Tu es déjà dans le présent. Il n’y a aucun effort à faire, il suffit d’arrêter ce processus qui t’en éloigne. Les gens viennent me dire « Franck j’ai soif » comme des poissons qui chercheraient l’eau. C’est une sorte de folie. Ils ont lu Eckhart Tolle et ils veulent être dans le présent. Mais tu es déjà dans le présent. Quelqu’un m’a dit : « Il faut que je m’établisse dans le présent ». Mais en fait tu es déjà dedans ; il n’y a rien à faire. La vision est là tout le temps. Elle ne te quitte pas ; c’est toi qui la quittes.
Jlr : Comment fais-tu pour qu’ils arrêtent la recherche ?
Franck : Cette connaissance se connaît déjà « elle-même » ; elle n’a pas besoin d’un chercheur pour se connaître. Le chercheur est comme un nuage qui cache un ciel bleu. En fait, il n’y a pas d’ « elle-même ». La conscience consciente d’elle-même, c’est la conscience identifiée de l’individu et la vision, c’est la conscience tout court. Elle se sait, mais elle ne sait pas qu’elle se sait. Ça se sait, mais ça ne sait pas que ça se sait.
Jlr : Tu as cette formule : "l’être sans le dire" ?
Franck : Sans le dire en effet, car le mot « être » est déjà une restriction. Quand je dis « être, mais sans le dire », ce qui émane, c’est l’innommable, mais c’est cela ; car cela est. C’est perceptif, cela ne passe pas par le canal de la mémoire. C’est une absence de savoir. Cela se sait quand le chercheur ne sait rien. C’est sans mémoire que cela se souvient. Pas besoin de faire un geste mnémotechnique pour savoir que c’est là.
Jlr : Mais les gens qui viennent, ils ne voient pas ce dont tu parles.
Franck : Non, ils le sont, mais ils le cherchent, ils ont été égarés par trop de lectures qui ont façonné leur esprit.
Jlr : Par exemple ? Ils attendent un éveil particulier?
Franck : Ils cherchent le truc, une recette, un truc à faire. Cette recherche est inutile puisque c’est déjà là.
Jlr : Donc comment fais-tu pour qu’ils arrêtent la recherche ?
Franck : J’essaye de les amener à voir l’inutilité du chercheur, que tout ce qu’entreprend le chercheur va en sens inverse. C’est là : si tu fais un effort, c’est là plus l’effort ; si tu t’ingénies à ne pas faire d’effort, c’est là plus le fait de s’exercer à ne rien faire. Ils s’entraînent à ne rien faire. Quand on ne fait rien, c’est là ; quand on ne sait rien, c’est là. Comme le disait Jean Klein, dans le non-savoir, c’est là. Il n’y a besoin d’aucune connaissance pour cela.
Jlr : Il y a plein de gens qui ne font pas d’effort et qui ne le voient pas.
Franck : Il faut chercher pour se rendre compte qu’il n’y a rien à chercher.
Jlr : C’est un paradoxe. Est-ce que les gens qui viennent te voir le comprennent ?
Franck : Oui, il y a des personnes chez qui il y a une clarté, mais souvent le chercheur en eux veut saisir cette clarté et le chercheur revient. Le chercheur veut en faire quelque chose. Dès que tu commences à l’attraper, cela se sauve. C’est toujours là, mais c’est eux qui le quittent. Ce n’est pas cette conscience qui s’en va. Il faut les amener à comprendre qu’il n’y a besoin d’aucun effort de leur part. Cela ne requiert aucun moi. Il n’y a pas besoin d’un moi ; c’est quand le moi n’est pas là que c’est clair. C’est évident.
Donc le chercheur est une calamité. Dans le sommeil profond, il n’y a personne, le chercheur n’est pas là, et pourtant c’est là. Cela ne rentre pas dans un domaine particulier, et même pas dans le domaine de la spiritualité. C’est partout et nulle part. Tu peux être en train de boire et cela peut devenir clair. Tu ne peux l’enfermer dans la spiritualité.
Le moi est inutile. Tout le monde pense qu’il faut faire quelque chose. Je n’ai rien contre les méditations, mais ce n’est pas parce que je vais méditer que cela va devenir clair. Tu peux être en train de faire du vélo, et cela peut devenir clair, n’importe où et n’importe quand. Cela n’a rien à voir avec un moi, il n’y a pas besoin d’un moi pour que cela devienne clair.
On veut toujours saisir ; on veut toujours faire ceci ou cela. Mais tu ne fais rien et cela devient clair.
La vision, tu l’as. Moi je l’ai découvert sur une route de campagne en marchant avec Olivier qui m’a parlé de Douglas Harding. On discutait de maîtres. Il m’a parlé de Douglas et ce fut un éclair de compréhension. Je n’étais pas assis en tailleur à méditer ; on discutait ; c’était simple. C’est ouvert partout.
Jlr : En fait, il faut que les gens comprennent.
F : J’essaye d’arriver à ce que ce côté mental lâche ; il va se rendre compte qu’il ne sait rien. Je ne connais rien, et pourtant je suis, « suis » tout simplement sans « je ». C’est déjà là tout le temps. Maharaj disait que pour lâcher, il fallait savoir quoi lâcher. Mais quand le « moi » comprend qu’il ne sert à rien, alors il lâche. Il se dit « Merde, pourquoi suis-je en train de faire quelque chose ? Il faut que j’arrête mes conneries. » Il faut savoir ce qu’il faut lâcher. Parfois c’est par désespoir ; Sylvester en parle bien. Je me souviens un jour en Thaïlande, j’ai envoyé tout balader, et cela s’est mis en place d’un seul coup. Je ne voulais plus entendre parler de spiritualité. Dans ces moments, le désespoir est un don. Tu te rends compte qu’il n’y a personne. C’est là quand tu n’y es pas. C’est là quand il n’y a personne."