La spiritualité est-ce fuir le monde?

Un ami m'a posé l'autre jour la question suivante :

"N'y a-t-il pas un risque d'utiliser la vacuité pour fuir le monde, et nier ses propres émotions ? La non-dualité n'est-elle pas une fuite de la dualité, de la vie ? "

J'ai répondu ceci:

"c'est un risque en effet. On peut chercher à fuir ses problèmes dans la vacuité, dans la conscience pure, dans l'absolu . On peut croire que le vide signifie une vie libre de tout ce qui rend la vie parfois difficile comme payer ses impôts, n'avoir pas de succès auprès des filles, être malade...Nous pouvons chercher dans la spiritualité une absence de monde et des soucis qui vont avec.

Mais cette attitude recrée une dualité  entre le vide et les formes, entre la conscience et le monde, entre l'absolu et le relatif. Ce n'est pas là la véritable spiritualité. Car vivre à partir de sa vraie nature ne consiste pas à fuir le monde, son corps et les autres, mais a embrasser la totalité du monde en soi.

Concrètement, quand vous percevez l'espace au-dessus des épaules, vous voyez immédiatement que cet espace est rempli à raz-bord du monde et de tout ce qui est. Il n'existe aucune frontière entre un intérieur et un extérieur; vous n'avez aucune protection, aucun mur pour maintenir le monde, les autres, votre corps, vos émotions à distance.

S'éveiller c'est sentir davantage, pas moins ; c'est s'ouvrir, accueillir, expérimenter, toucher, gouter, le monde totalement.

La spiritualité c'est vivre ce monde ci, non un autre. 

Mais c'est le vivre en voyant qu'il est en vous ! Vous n'êtes pas une petite chose perdue dans le monde, c'est le monde qui est trouvé en vous.

Dans votre absence, il y a la présence du monde. Et c'est un mystère à vivre. "

jlr

Comments

[georges]

Oui mais ce mystère ne peut pas terrifier ce que tu es. et ce que tu es ne se mêle jamais des affaires psychologiques. et les émotions psychologiques ne peuvent pas chicaner ce que tu es. ET tu es toujours, à tous moments, cela est impossible que tu ne sois pas. alors profites en bien.

[Elise]

Mais c'est un mystère qui peut terrifier. On parle parfois de 3 instincts face à l'adversité: la fuite, la confrontation ou faire le mort qui correspondent au plan des émotions à la peur, la colère, agressivité et à la tristesse. La peur me semble toujours présente face à la houle qui brasse l'univers en nous.

C'est vrai que si on tente la fuite, l'aventure spirituelle n'est peut-être pas le meilleur des chemins...

Parce que si la connaissance de soi est une reconnaissance de la luminosité de la conscience c'est aussi une lucidité qui traverse l'être et les choses, un embrassement de tout y compris, nous dit D.Harding de la Non-chose ou Zéro à notre Source commune, notre Centre commun (Etre et ne pas être P205), ce qui, ma foi, n'est pas synonyme de sécurité et de confort moderne !

La connaissance passe par les mots et la pensée qui nous permettent d'intégrer le réel, l'existentiel, par la représentation mais le monde déborde toujours parce qu'il transcende toute représentation.Et puis on se paie facilement de mot et dans cette saisie qui trop embrasse mal étreint.

" Si vous avez le courage de dire OUI à la vacuité, de tout votre coeur, vous réaliserez alors que c'est le remède contre la mort, contre la peur de la mort, et contre la peur tout court. Vous trouverez en elle votre commencement au lieu de votre fin" (p191).

" la vacuité n'est rien d'autre qu'un espace dégagé des fixations qui nous empêchent de nous déplacer dans les dilemmes et les ambiguïtés de la vie" ( ca c'est Batchelor qui le dit dans Versets jaillis du centre-p62)

La marche incarne bien ce cheminement délicat, elle introduit au silence des représentations , à l'abandon des positions rigides,un pas dans l'être un pas dans le non-être..., à l'accueil de l'inconnu...

[atipic]

"La recherche spirituelle" - quelle vilaine expression.

Elle cristallise à elle toute seule une très grande confusion.



A ce sujet je ferai deux remarques :

- La première est que le principal fourvoiement se retrouve dans l'idée

que le BUT de la recherche spirituelle est de trouver le Soi, sa véritable nature.

S'engage alors une quête sans fin d'un graal inaccessible et illusoire.



C'est un paralogisme ou raisonnement erroné certes de bonne foi.

Mais néanmoins, persiste une "idée amorce" saugrenue dans le style :

" Je me baignerais quand je saurais nager "



- La seconde remarque est qu'il ne faut pas oublier que derrière toutes ces "recherches spirituelles", se tapit très souvent une profonde souffrance.

Encore un dénominateur commun que l'on se partage un peu tous -

un peu plus - un peu moins.





" Le commencement est le moment où l'on commet le moins de fautes."

nous dit le Yi King - (hexagramme 52)



Alors, avoir de la compassion pour soi et pour les autres est certainement un très bon commencement.

[patrice]

je n'aurais pas dit mieux que Georges. Il y a une image dans le dzogchen: "Ne partez pas dans la forêt à la recherche de l'éléphant qui n'a pas bougé de son enclos."

@ Pauline: quand tu réaliseras la non-dualité, il y a peu de chances que se pose cette question. Car il n'y aura plus personne pour vouloir, ou ne pas vouloir. Les choses ne se poseront pas selon ce schéma. Seul le "petit je' pourrait vouloir ou pas, mais lorsqu'il s'est dissout dans le Soi.....

[Pauline]

Que se passe-t-il si on ne veut pas de ce monde en nous ? ...