Hymne à la réalité suprême par Nagarjuna
Traduction du sanskrit José Le Roy
paramārthastavaḥ
L’hymne à la réalité suprême
1
kathaṃ stoṣyāmi te[1] nātham anutpannam anālayam |
lokopamām atikrāntaṃ vākpathātītagocaram || 1 ||
Comment te, louerai-je, toi le Protecteur, qui est sans naissance, sans demeure,
Qui est au-delà d’une comparaison mondaine, et dont le domaine est au-delà du chemin des mots
2
tathāpi yādṛṣo vāsi tathātārtheṣu gocaraḥ |
lokaprajñaptim āgamya stoṣye’ham bhaktito gurum || 2 ||
Néanmoins, tel que tu es, en vérité, tu es accessible dans les objets de la réalité
En ayant recours à des connaissances communes, je louerai le maitre avec amour.
3
anutpannasvabhāvena utpādas te na vidyate |
na gatir nāgatir nāthāsvabhāvāya namo’stu te || 3 ||
avec ta nature sans naissance il n’y a pas de naissance pour toi,
Ni d’allée, ni de venue, hommage à Toi, Ô Protecteur, toi qui n’a pas de nature propre
4
na bhāvo nāpyabhāvo’si nocchedo nāpi śāśvataḥ |
na nithyo nāpyanithyas tvam advayāya namo’stu te || 4 ||
Tu es sans existence et tu n’es pas même sans non-existence, ni intermittent, ni continu
ni éternel, ni même non-éternel, Hommage à Toi, qui est non-duel
5
na rakto haritamāñjiṣṭo varnas te notalabhyate |
na pitakṛṣṇaśuklo va’varṇāya namo’stu te || 5 ||
Ni rouge, ni vert, ni écarlate, aucune couleur de toi n’est perçu
ni jaune, ni noir, ni blanc, hommage à Toi le sans couleur
6
na mahānnāpi hraso’si na dīrghaparimaṇḍalaḥ |
apramāṇagatiṃ prāpto’pramāṇāya namo’stu te || 6 ||
Tu n’es ni grand, ni petit, ni long, ni rond
Tu as atteint le chemin incommensurable, Hommage à toi, l’Incommensurable
7
na dūre nāpi cāsanne nākāse nāpi vā kṣitau |
na saṃsāre na nirvāne’sthitāya namo’stu te || 7 ||
Toi qui n’est situé ni loin, ni même proche, ni dans l’espace, ni même sur la terre
ni dans l’existence, ni dans le nirvana, Hommage à toi.
8
asthitaḥ sarvadharmeṣu dharmadhātugatiṃ gataḥ |
parāṃ gaṃbhiratāṃ prāpto gaṃbhirāya namo’stu te || 8 ||
Tu ne te trouves dans aucun élément, tu as suivi la voie de la réalité ultime
Tu as obtenu la profondeur ultime, Hommage à Toi, le Profond
9
evaṃ stutaḥ stuto bhūyād athavā kim uta stutaḥ |
śūnyeṣu sarvadharmeṣu kaḥ stutaḥ kena vā stutaḥ || 9 ||
Ainsi célébré, il sera célébré, ou plutôt est-il célébré ?
Quand tous les éléments sont vides, qui est célébré, ou par qui peut-il être célébré ?
10
kas tvāṃ śaknoti saṃstotum utpādavyayavarjitam |
yasya nānto na madhyaṃ vā grāho grāhyaṃ na vidyate || 10 ||
Qui peut Te célébrer, Toi qui es dépourvu de naissance et de mort ?
Lui qui est sans fin et sans milieu, il n’est ni celui qui perçoit ni celui qui est perçu.
11
na gataṃ nāgataṃ stutvā sugataṃ gativarjitam |
tena puṇyena loko’yaṃ vrajatāṃ[2] saugatīṃ gatim || 10 ||
après avoir célébré le Bien-Allé, qui ne va ni ne vient, et qui est sans mouvement
par ce mérite, que ce monde aille sur le chemin du Bien-Allé.
|| paramārthastavaḥ samāptaḥ ||
Ainsi s’achève l’hymne à la réalité ultime.
[1] Il faut lire tvam, à l’accusatif probablement.
[2] 3e personne du singulier de l’impératif moyen