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Eveil et philosophie, blog de José Le Roy
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16 avril 2014

Bac Philo : les nouveaux chemins de la connaissance

Le bac philo approche: voici quelques dissertations et textes corrigés sur l'émission Les nouveaux chemins de la connaissance.

 

2014

 


 

 

 

"S’il était aussi facile de commander aux âmes qu’aux langues, il n’y aurait aucun souverain qui ne régnât en sécurité et il n’y aurait pas de gouvernement violent, car chacun vivrait selon la complexion des détenteurs du pouvoir et ne jugerait que d’après leurs décrets du vrai ou du faux, du bien ou du mal, du juste ou de l’inique. Mais ( ...) cela ne peut être ; il ne peut se faire que l’âme d’un homme appartienne entièrement à un autre ; personne en effet ne peut transférer à un autre, ni être contraint d’abandonner son droit naturel ou sa faculté de faire de sa raison un libre usage et de juger de toutes choses. Ce gouvernement par suite est tenu pour violent, qui prétend dominer sur les âmes et une majesté souveraine paraît agir injustement contre ses sujets et usurper leur droit, quand elle veut prescrire à chacun ce qu’il doit admettre comme vrai ou rejeter comme faux, et aussi quelles opinions doivent émouvoir son âme de dévotion envers Dieu : car ces choses sont du droit propre de chacun, un droit dont personne, le voulût-il, ne peut se dessaisir."

 

 

Explication du texte de Spinoza, extrait du Traité théologico-politique,  chapitre XX.

 

Le plus grand danger que risque d'affronter un pouvoir politique parait bien être le désordre engendré par la multiplicité des opinions individuelles. La désobéissance de la multitude affaiblit les mesures de l'Etat, et peut même, à terme, conduire à la disparition de celui-ci. Il faudrait donc imposer l'ordre aux âmes pour préserver la paix civile. Or, dans ce texte, Spinoza entend établir le caractère inaliénable de la liberté de pensée, et, à partir de ce constat, mettre en évidence que le pouvoir politique se fourvoie quand il prétend imposer par la force un commandement aux âmes pour maintenir la paix civile, et par la même, sa propre existence. La liberté de pensée n'a pas à être défendue, ni revendiquée, car il suffit de la constater et d'en tirer les conséquences politiques qui s'imposent.

Plan du texte :

1) Du début jusqu'a" inique" : raisonnement par l'absurde montrant que la plus grande source de troubles pour le pouvoir politique est la liberté de pensée des sujets et non les autres Etats. Il semblerait donc indispensable à la paix de transférer ce droit à l'Etat.

2) De "mais" jusqu'à " choses" : Argumentation reposant sur le caractère inaliénable de ce droit de chacun à penser librement. Ce droit ne peut pas être transféré à la puissance publique : personne ne pense à ma place.

 3) Enfin de " ce gouvernement" jusqu'à " dessaisir" : Il s'agit là de la conséquence inévitable de la constatation de cette impossibilité d'abandonner ce droit. Le pouvoir politique qui tente de s'approprier ce droit se trompe doublement. D'une part cet objectif est voué à l'échec, et d'autre part l'Etat ne comprend pas sa propre fin qui est la liberté des individus.

 

 

 

I) Un désir impossible

Spinoza suppose dans cette première phrase le problème du maintien de la paix civile résolu si l'on suppose la soumission complète et entière des âmes au pouvoir politique. Cette solution permet d'envisager ce que seraient les avantages d'une telle soumission des âmes. Le règne serein du souverain rendrait superflu la violence puisque tous obéiraient de leur plein gré car tous appartiendraient corps et âme à l'Etat.

Les individus gagneraient alors une paix parfaite, fondée sur une identification avec la "complexion", c'est-à-dire la nature particulière ou l'humeur du détenteur du pouvoir qui serait alors un véritable maitre à penser. Ce que ce maitre à penser commanderait serait notre capacité à juger dans les domaines de la morale (bien et mal), de la  métaphysique, de la religion, de la  philosophie,  de la science (vrai et faux) et  de la justice (juste ou de l'inique). Son pouvoir serait donc absolu puisque raison et désir lui appartiendraient. Les âmes renonceraient donc à désirer, à réfléchir, à douter, en somme à toute activité propre  en  se pliant au pouvoir. Plus d'extériorité entre en le pouvoir et le peuple. Le conformisme de la pensée apporterait la paix.

Comment cette situation pourrait elle exister ? Cette représentation utopique  n'est pas sans rappeler les efforts des Platon pour connaitre  et établir une taxinomie des âmes selon le rôle qu'y joue la raison. La cité serait alors un ensemble harmonieux et juste sous le commandement du philosophe-roi mais ni les détenteurs du pouvoir ni la multitude ne peuvent y être soumis car notre nature ne correspond pas à cette chimère. Si l'utopie platonicienne ne peut se confronter à la réalité, l'âge d'or ainsi présenté par Spinoza se révèle être semblable aux tableaux dressés  par A Huxley dans Le meilleur des mondes d'une humanité qui ne pense pas, non parce qu'elle y a renoncé mais parce qu'elle a perdu son humanité.

Ainsi, du point de vue historique, si le gouvernement peut imposer une limite  à nos actions, s'il peut imposer par ses lois une censure sur ce qui est dit ou publié, les individus n'en pensent pas moins. Or chacun pense selon ses intérêts,  ses convictions, ses opinions, ses croyances. L'âme est soumise aux affects singuliers qui la traverse et qui sont différents selon les individus.

Le souverain  ne peut ainsi contraindre les individus par la force à croire. Ainsi les Macédoniens, ont refusé d'adorer Alexandre comme un dieu, rappelle Spinoza au chapitre XVII du TTP. En ce qui concerne les croyances religieuses, même si le pouvoir peut imposer les manifestations apparentes de la foi, les gesticulations du culte, il ne peut ordonner aux âmes de croire.

 

 Cependant la recherche de l'accord des individus est un objectif rationnel pour le pouvoir politique puisqu'il permet de limiter l'usage de la force publique. Même les  meilleures lois doivent entre renforcées par la contrainte. L'obéissance au pouvoir qui ne nécessite pas le recours à la force est un but que le pouvoir doit rechercher mais  la multitude est redoutable car en elle se dissimule toujours la capacité à juger différemment et librement. Même Moise, respecté et obéi librement par le peuple était jugé  défavorablement par certains esprits.

Ainsi seule une utopie ou une fiction peuvent établir une soumission absolue des âmes Dans un contexte historique ancré dans le réel, il n'y a pas d'exemple de cette parfaite union par soumission de la multitude des âmes aux détenteurs du pouvoir.

Transition : Quelles sont alors les conditions réelles de l'activité politique pour atteindre alors la paix civile?

 

2) La liberté de pensée est inaliénable.

 Spinoza quitte alors  la spéculation pour  l'analyse d'un constat : renoncer au libre exercice du jugement, par l'abandon ou le transfert, est impossible.  Deux raisons viennent fonder l'affirmation de Spinoza.

En premier lieu, nous ne pouvons pas renoncer à être ce que nous sommes.  L'homme pense comme le poisson nage. " Les poissons sont déterminés par la nature à nager, ainsi les poissons jouissent de l'eau en vertu d'un droit naturel souverain" précise le premier paragraphe du chapitre XVI du TTP.  Or ce qui caractérise cette chose qu'est l'âme c'est cette activité de jugement, d'exercice libre de la raison. Il est dans la nature de l'homme de faire un libre usage de sa raison, y renoncer équivaudrait à renoncer à être un homme. Nul, en somme,  ne peut aller contre sa nature. Il s'agit donc d'un " droit naturel", c'est-à-dire de l'exercice de mes facultés naturelles, expression de ma puissance qui se manifeste inévitablement dans les faits : activité de l'esprit, force active.

 L'observation historique le confirme, les hommes font un libre usage de leur raison. Sinon l'histoire humaine serait depuis longtemps l'histoire de la soumission de la pensée. Il ne s'agit donc pas dans ce texte d'une déclaration de principe qu'il faudrait suivre, la liberté de pensée n'est pas une valeur qu'il faut proclamer. Elle est indépassable car elle est ce que nous sommes.

Ainsi si le pouvoir politique ne contraint pas ma pensée, ce n'est pas parce qu'il n'a pas le droit de le faire, c'est parce qu'il n'en a pas le pouvoir.  Mais même s'il pouvait le faire, s'il pouvait commander aux âmes, il ne commanderait à rien d'autre qu'à une écorce vide, tel un enfant qui voudrait conserver un poisson vivant hors de l'eau. L'âme pense librement ou elle n'est pas.

Donc si le pouvoir politique ne peut commander à mon âme ce n'est pas en raison de la dignité de la personne humaine, ce n'est pas par respect des valeurs  mais en raison de la seule limite qui vaille : celle de la nature.

D'autre part parce que la raison de l'association des hommes c'est la préservation du droit naturel. Si les hommes s'associent et acceptent d'obéir aux lois c'est pour survivre, donc pour augmenter leur puissance d'agir et de penser. En effet si un individu accepte le contrat c'est pour augmenter sa puissance de penser et d'agir librement, puissance réduite à ses propres ressources s'il est isolé mais augmentée s'il s'associe à d'autres. L'idée d'un transfert total des droits des individus à une puissance alors souveraine serait contraire aux intérêts des individus.

Spinoza soutient que la liberté de pensée est un fait mais il est permis de douter de cette affirmation à la lumière de la lettre à Schuller dans laquelle la liberté humaine est définie comme une illusion. Ma pensée est libre quand justement elle n'est pas conduite par des influences dont elle ignore tout, que ces influences soient celle de l'alcool sur  l'ivrogne qui croit parler en toute liberté, ou les peurs irrationnelles du superstitieux mais quand elle est déterminée par des causes qui sont propres à ma nature. Je suis libre si je comprends rationnellement la nature des choses, et surtout ma propre nature et ce qui la détermine. 

Transition : d'un coté , l 'Etat a besoin de la soumission de l'âme des individus pour être assuré de sa sécurité mais cette seconde partie a démontré le caractère insoutenable de cette exigence, et d'un  autre coté , les individus ne peuvent éviter les dangers qu'en unissant leur force sous l'égide du pouvoir politique mais ils ne peuvent renoncer à leur liberté de pensée. Voila l'aporie à laquelle se trouve confronté Spinoza.

 

3) L'Etat insensé

La conséquence inévitable de l'analyse de Spinoza est que l'Etat est inefficace quand il tente de dominer ainsi les âmes.

Pourtant les formes de domination de la pensée par le pouvoir sont nombreuses et variées, de la propagande  au culte du guide suprême, des lois à la terreur. Les hommes peuvent vivre selon les désirs de leur maitre à penser plutôt que selon leur propre désir et ainsi passer sous le contrôle du pouvoir  en pensant suivre leur propre volonté. Mais, dans tous les cas, Il s'agit bien  pour ceux qui subissent ces lois qui prescrivent ce que nous  devons penser de violence et d'injustice de la part du pouvoir politique. Le pouvoir, que ce soit par la manipulation, la rétention d'information ou la force brute peut certes commander au  moins partiellement à notre âme. Mais ces tentatives sont toujours limitées et les réussites provisoires.

 Mais si cette violence est un fait, si cette injustice est réelle, elles ne sont que les manifestations  d'un  problème plus grave. Si le pouvoir politique agit de la sorte c'est par ignorance. Il apparait violent et injuste mais il est fondamentalement ignorant et aveugle, irrationnel parce qu'en agissant ainsi, il ne fait que renforcer la violence de la multitude qu'il veut réduire.

Ainsi si le pouvoir politique  impose une religion, deux difficultés apparaissent : en premier lieu l'intolérance envers les autres formes de dévotion ou l'absence de dévotion qui se mettra inévitablement en place,  à cause de la volonté hégémonique de la religion d'Etat. Cette intolérance est la source du fanatisme religieux parmi les cultes interdits. Le pouvoir politique se trouve ainsi contraint d'augmenter la violence qu'il exerce contre ses sujets et renforce  ainsi un cercle vicieux de violence.

La limite du pouvoir politique, son incapacité à imposer son empreinte sur les âmes le conduit à des actions inspirées par la crainte que lui inspirent ses sujets. Mais cette "usurpation d'un droit" qu'il ne peut  contrôler fait naitre ce qu'il veut empêcher : C'est-à-dire le désordre, la révolte contre un Etat considéré alors comme illégitime. Cette perte de légitimité est une perte de souveraineté  le pouvoir est alors en danger. Tenter de commander aux âmes n'est donc pas seulement inefficace et fondamentalement impossible c'est aussi nuisible au gouvernement  et aux sujets.

Le pouvoir politique est donc dans l'erreur: il agit de façon irrationnelle en voulant imposer sa loi aux âmes. La violence répressive de cet Etat criminel constitue le risque le plus grand de guerre civile. Les moyens qu'il emploie pour s'efforcer de régner en toute sécurité sont ceux qui entrainent très nécessairement ce qu'il cherche à éviter : son renversement.

En filigrane dans ce texte, se dessinent donc les actions propres à permettre à un gouvernement rationnel  de se maintenir dans la paix et la prospérité. L'admission du caractère inaliénable de la liberté de pensée conduit à reconnaitre la diversité des opinions, notamment en matière de religion. Le pouvoir doit donc soutenir  la liberté religieuse  en autorisant toutes les formes de culte mais sans contraindre quiconque d'y participer et sans en privilégier aucune. Ainsi  le risque du fanatisme est évité par la l'exercice de la tolérance.

Cette reconnaissance de la diversité des opinions devrait alors conduire logiquement à libérer les langues car la liberté de pensée se nourrit de l'expression dans le cercle privé et public des idées de chacun.

 

Conclusion

A la question de savoir comment concilier l'union nécessaire à la survie des hommes  sous l'égide d'un pouvoir souverain et la propension naturelle et irrésistible des hommes à avoir des idées diverses et contradictoires sur les sujets les plus importants, Spinoza répond dans ce texte en montrant que la paix ne peut se passer de la liberté de pensée. Il s'oppose ainsi à la solution d'un prétendu réalisme politique qui tenterait de réduire la liberté des âmes. La violence de la répression est le signe d'un pouvoir aveugle et incohérent qui renforce ainsi ce qu'il voulait eviter.Or on peut unir sans contradiction la sécurité du gouvernement et la liberté de pense : la pensée libérée promeut la paix civile.  

 

LECTURES :

- Spinoza, Traité théologico-politique (1670), chap. XX

 -Hobbes, Léviathan,  1ère partie, ch.XIII « De la condition naturelle des hommes en ce qui concerne leur félicité et leur misère », 1651, éd. Sirey, 1983, trad. Tricaud, p.124

 


 

Texte de Hume

 

 

« Tout ce qui est peut ne pas être. Il n’y a pas de fait dont la négation implique contradiction. L’inexistence d’un être, sans exception, est une idée aussi claire et aussi distincte que son existence. La proposition, qui affirme qu’un être n’existe pas, même si elle est fausse, ne se conçoit et ne s’entend pas moins que celle qui affirme qu’il existe. Le cas est différent pour les sciences proprement dites. Toute proposition qui n’est pas vraie y est confuse et inintelligible. La racine cubique de 64 est égale à la moitié de 10, c’est une proposition fausse et l’on ne peut jamais la concevoir distinctement. Mais César n’a jamais existé, ou l’ange Gabriel, ou un être quelconque n’ont jamais existé, ce sont peut-être des propositions fausses, mais on peut pourtant les concevoir parfaitement et elles n’impliquent aucune contradiction. On peut donc seulement prouver l’existence d’un être par des arguments tirés de sa cause ou de son effet ; et ces arguments se fondent entièrement sur l’expérience. Si nous raisonnons a priori, n’importe quoi peut paraître capable de produire n’importe quoi. La chute d’un galet peut, pour autant que nous le sachions, éteindre le soleil ; ou le désir d’un homme gouverner les planètes dans leurs orbites. C’est seulement l’expérience qui nous apprend la nature et les limites de la cause et de l’effet et nous rend capables d’inférer l’existence d’un objet de celle d’un autre. »

 

David Hume, Enquête sur l’entendement humain, 1748

 

Analyse du texte

 

Introduction:

 (Enoncé du problème philosophique soulevé par le texte) : Quels sont les pouvoirs de la raison ? On se représente communément la raison humaine comme un pouvoir capable de connaître le réel. Cette puissance de la raison culminerait dans la science. En effet, la science notamment par la puissance de la démonstration serait capable de prouver a priori une proposition, permettant à l’homme d’anticiper le réel et s’en rendre maître et possesseur.  On poserait ainsi que la raison suffirait à produire la vérité. A l’opposé, on se méfierait de l’expérience, trop subjective et singulière.  Qu’en est-il exactement ? A-t-on raison d’accorder une telle confiance en la raison ? (Thèse du texte) Hume dans ce texte s’oppose à ce rationalisme et met en évidence la nécessité du recours à l’expérience. Il montre par là même qu’il est illusoire de prétendre atteindre des connaissances qui dépassent le cadre de l’expérience. (Structure logique du texte) Sa thèse s’argumente autour de deux moments. Après avoir affirmé que nulle connaissance a priori n’est capable de démontrer l’existence d’un être, Hume montre que seules les mathématiques sont susceptibles de produire des démonstrations. Deux exemples mettent en évidence cette distinction dans ce premier moment. La thèse du texte est donnée dans un second temps: les raisonnements sur l’existence ne peuvent provenir que de l’expérience. Même si son nom n’est jamais explicitement donné, Hume ne vise-t-il pas par là même la question métaphysique de l’existence de Dieu ?

 

Analyse linéaire du texte

 

Premier moment du texte : Du début jusqu’à « elles n’impliquent aucune contradiction»

Dans un premier moment, Hume cherche à mettre en évidence la différence de nature qui existe entre deux formes de raisonnements. Les premiers donnent lieu à de véritables démonstrations tandis que la raison dans les seconds ne peut  se contenter de raisonner de manière a priori. Il commence son texte en définissant le propre des raisonnements de faits, pour mieux les distinguer des raisonnements mathématiques.

 

A proprement parler, la raison ne peut démontrer de vérités que dans le domaine des mathématiques. C’est à tort que l’on prétend pouvoir raisonner de manière a priori dans les raisonnements touchant les faits.

Le texte prend l’exemple d’une proposition mathématique fausse. Comment la raison peut-elle le savoir ? La racine cubique de 64 est 4. Ainsi, dire que la racine cubique de 64 est égale à la moitié de 10, ce serait affirmer que 4 est égal à 5. Cette proposition n’est ni claire, ni distincte. Dire que 4 est égal à 5 est inintelligible, implique une contradiction logique. La fausseté implique une contradiction logique. On peut donc aisément savoir que cette proposition est fausse. On peut le savoir de manière a priori. La raison n’a nullement besoin de faire appel en ce cas à l’expérience.

C’est pourquoi l’on peut procéder à des démonstrations en mathématiques. Le raisonnement mathématique ne repose pas sur l’expérience. Ses objets ne sont pas des faits mais des constructions de la raison comme les nombres ou les figures géométriques. On peut dans ce domaine énoncer des propositions absolument certaines, parce quelles sont déduites a priori de définitions ou d’axiomes.

 

Hume analyse ensuite l’exemple de César. Peut-on démontrer l’existence de César ? Peut-on raisonner de manière a priori sur les faits, sur l’existence des êtres ? Considérons la proposition « César a existé ». Une telle proposition porte sur l’existence d’un être. La raison a-t-elle la capacité  de déduire l’existence d’un être, c’est-à-dire de la déduire logiquement, de raisonner de manière a priori, sans faire appel à l’expérience ? Non. On peut ainsi reconstituer son raisonnement : si l’on pouvait raisonner de manière a priori, on saurait avec certitude que la proposition contraire, « César n’a jamais existé » est fausse. Cette proposition contraire serait inintelligible, elle impliquerait contradiction, comme celle précédemment énoncée, « 4 est égal à 5 ».

 

On ne peut pas prouver l’existence d’un être à partir de la seule idée de cet être. On peut peut-être penser que Hume s’oppose à la démarche de Descartes qui dans Les Médiations métaphysiques tentait de démontrer l’existence de Dieu à partir de l’idée de sa perfection. « l’inexistence d’un être, sans exception » est une idée totalement claire et distincte. L’existence de Dieu est une idée aussi intelligible que celle de sa non existence. On ne pourra jamais démontrer de manière a priori l’existence de Dieu.

 

Second moment du texte : de « On peut donc seulement » jusqu’à la fin du texte.

Toute la deuxième partie du texte est centrée sur la question de la causalité. En effet, l’existence d’un être ne peut être prouvée qu’en faisant appel à l’expérience. Comment prouve-t-on l’existence de César ?

On utilise des « arguments tirés de sa cause et de son effet ». Hume n’explique pas vraiment en quoi consiste ce mécanisme intellectuel, mais on comprend que l’essentiel est de mettre en évidence le rôle de l’expérience et de la liaison entre la cause et l’effet. On est donc en mesure de dire que la proposition « César n’a jamais existé » est fausse parce que l’on a fait appel à l’expérience.  Les actions de César ont produit des effets.  Sans ce recours à l’expérience nous ne pourrions pas prouver que la proposition « César a existé » est vraie ou fausse.

De plus, on n’accorde pas notre croyance à des relations de faits qui ne sont pas conformes à l’habitude. Il est sensé de dire que César est la cause des faits qui ont été rapportés par les historiens directs et indirects, parce que nous savons que ces mêmes historiens ont rapporté des faits exacts. On comprend donc que Hume veut montrer que sans nous en rendre compte, toutes nos assertions sont fondées sur un raisonnement qui fait intervenir une liaison entre la cause et l’effet.

 

On ne prouve l’existence d’un être qu’en raisonnant de manière a posteriori, par expérience.

En effet, si l’on raisonne a priori, « n’importe quoi peut paraître capable de produire n’importe quoi. ». La chute d’un galet peut-elle causer l’extinction du soleil ?  Par quel mécanisme intellectuel procède-t-on pour dire que la chute d’un galet ne peut éteindre le soleil ? Si nous raisonnions de manière purement a priori, sans avoir jamais fait l’expérience du réel, n’importe quel effet pourrait suivre la chute d’un galet, y compris l’extinction du soleil.

De même, qu’est-ce qui conduit l’esprit à affirmer que le désir d’un homme ne peut être la cause du mouvement des planètes ? Si l’on raisonne de manière a priori, il n’y a nulle contradiction logique à opérer une telle inférence.

 

ENJEU PHILOSOPHIQUE DU TEXTE

 

Premier enjeu philosophique

- Même si Hume n’en prononce jamais le nom, l’existence de Dieu semble être le véritable enjeu philosophique du texte. Peut-on démontrer l’existence de Dieu ? Hume dans ce texte s’oppose à la toute tentative métaphysique de démontrer  cette existence de Dieu.

Second enjeu philosophique

- On peut mettre en évidence un second enjeu philosophique : ce texte est fondamentalement empiriste. Hume veut nous prévenir contre un usage déraisonnable de la raison et contre un rationalisme abstrait. En dehors des mathématiques, on ne peut pas raisonner a priori. L’expérience est le seul guide de nos vies.

Cette thèse a des conséquences très fortes sur la compréhension de la causalité. On peut donc mettre ce texte en perspective avec d’autres textes de Hume, plus connus, qu’un élève de terminale a rencontrés dans l’année.

 

Conclusion:

 

 Ce texte de Hume montre clairement que si l’on excepte la connaissance mathématique, toutes nos connaissances proviennent de l’expérience. Cette thèse empiriste s’oppose donc au rationalisme. Mais son enjeu véritable est de réfuter par avance toute tentative métaphysique de démontrer l’existence de Dieu ou son inexistence, que ce soit a priori ou a posteriori. La raison humaine a des limites et le propre de la philosophie est de circonscrire fermement ces limites, non pas pour affirmer que l’on ne peut rien connaître, mais pour prendre conscience de ce que nous pouvons connaître et du rôle de l’expérience.

 

REFERENCES

Textes:

- David Hume, Enquête sur l’entendement humain, Section XII « De la philosophie académique ou sceptique », Troisième partie, 1748, trad. André Leroy, 1947,  (GF Flammarion, 2006)  p.246

 

- David Hume, Enquête sur l’entendement humain, Section XI « La providence particulière et l’état futur », Première partie, 1748, trad. André Leroy, 1947, ( GF Flammarion, 2006)  p.226-227

 

Extraits:

Patrice Leconte, Ridicule, 1996


 

2013

La liberté est-elle une illusion?

 

 

Position de la problématique :

Afin de savoir si la liberté est une illusion, il nous faudra ainsi nous interroger sur la possibilité de juger de la liberté à l’aune des critères de la vérité et de fausseté, de l’apparence et de la réalité. Si apparence il y a, cette apparence peut-elle être attribuée à la liberté sans faire disparaître en même temps que l’illusion le champ de la décision et de l’action ? L’enjeu de notre devoir sera alors de montrer que la liberté ne peut se faire des illusions sans se perdre qu’à la condition de porter elle-même le masque de la tromperie.

 

Plan détaillé

 

I ) Nous chercherons à montrer dans une première partie que la liberté semble échapper au phénomène de l’illusion et apparaît au contraire comme sa condition de possibilité.

  1. A) Pour se faire, nous établirons dans une première sous partie la présence à soi de la conscience qui dans la conscience qu’elle a de sa décision échappe à tout risque de tromperie ou d’erreur. Nous nous appuierons pour se faire sur l’article 39 deS Principes de la philosophie de Descartes.
  2. B) Dans un second temps, nous montrerons que loin de s’illusionner, la conscience dans son entreprise de penser est la condition de l’erreur, de la tromperie et de l’illusion. Nous étudierons à cette occasion le doute cartésien et notamment, le passage sur « le malin génie ». Il apparaîtra alors que s’il y a une liberté, c’est précisément une liberté qui s’affirmer au risque même de la tromperie alors même que tout a été jugé faux.
  3. C) Il sera alors possible dans une troisième partie d’affirmer de la puissance de l’illusion qu’elle peut être affirmation de la liberté elle-même. Ce sera alors l’occasion de parler de la puissance du « rêve » et de citer, si nécessaire, Matière et Mémoire de Bergson, où le rêve apparaît comme liberté. Texte à préciser.

 

 

II) Dans une deuxième partie, nous montrerons qu’un risque d’illusion peut néanmoins apparaître au sein même d’une conscience qui ignore d’où lui viennent ses pensées et ses décisions. La conscience serait ainsi le jouet de déterminismes qui la dépassent.

  1. A) Dans une première sous partie, une étude du film « mon oncle d’Amérique » d’Alain Resnais nous montrera que la conscience ignore les causes « biologiques » qui la déterminent. Un tel film pourra mis être en parallèle avec « la lettre à Schuller » de Spinoza.
  2. B) Il  faudra alors se demander si la connaissance de ce qui nous  détermine en dissipant l’illusion ne dissipe pas également une liberté, qui nous apparaîtrait dès lors comme un songe creux ou vain.
  3. C) La troisième partie pourrait alors à montrer que la possibilité d’une liberté demeure d’un point de vue strictement théorétique. Si liberté il y a, ce ne peut être que celle d’une conscience qui dévoile la vérité derrière des apparences trompeuses. A ce titre, la philosophie de Spinoza, mais aussi celle de Descartes (Lettre à Elisabeth) nous apparaîtra comme l’affirmation d’une liberté de connaître le vrai. Réfutation sera ainsi faite la conception qui voit dans la liberté la puissance d’un arbitre  indifférent.

 

 

III ) Parce qu’une telle conception de la liberté n’est pas sans subordonner le champ de la décision à celui de la connaissance, il sera alors nécessaire de nous demander dans une troisième partie si la liberté peut se conquérir dans une telle entreprise théorique de recherche du vrai.  La liberté véritable n’échappe-t-elle pas aux  critères de la vérité et de l’erreur en s’affirmant dans le champ pratique de l’action.

  1. A) Dans une première sous partie, il nous faudra ainsi montrer que la liberté entendue comme liberté d’action dépasse la dichotomie de la réalité et de l’apparence, en s’affirmant comme acte qui révèle l’être que je suis dans un structure d’apparaître ou de projet (L’existentialisme est un humanisme, Sartre).
  2. B) Si illusion de liberté il y a, ce ne peut être que pour une conscience trompée par un trompeur : soi-même (« mauvaise foi ») ou les autres. A cet égard, le champ de la liberté politique apparaîtra comme le lieu où la représentation que je me fais ou que l’on me donne de ma liberté, peut me masquer le joug auquel je suis soumis.
  3. C) Dans une troisième sous partie, cette structure du mensonge à soi ou du mensonge que les autres immiscent au cœur de ma conscience, fera apparaître l’illusion qui se loge de manière constitutive au sein de ma liberté. La liberté comme pro-jet, sera ainsi définie comme écart de soi à soi, qui en même temps qu’il rend possible la responsabilité, me donne la possibilité de me fuir moi-même et de me tromper volontairement sur ma liberté même.

 

Références musicales:

- Ludivico Einaudi, Uno

- Jean-Louis Aubert, Juste une illusion

- Hugues Aufray, Moi je choisis la liberté

- Marvin Gaye, Let your conscience be your Guide

 

Extrait:

Mon oncle d'Amérique d'Alain Resnais (1980)


Le temps est-il essentiellement destructeur ?

 

 

LE TEMPS EST-IL ESSENTIELLEMENT DESTRUCTEUR ?

 

Analyse du sujet :

Deux sens du mot essentiellement

1) L’essence du temps est –elle d’être destructive par rapport à d’autres caractéristiques qui pourraient être accidentelle. C’est alors une question de définition du temps. Le temps peut –il se définir par son caractère destructeur ? 

2) Essentiellement veut aussi dire principalement. Est-ce que la caractéristique du temps  destructeur est la plus importante pour moi (dans ma façon de vivre le temps) même si elle n’est pas essentielle du point de vue de la définition.

 

Problématique

Faut-il redouter le temps comme un ennemi ou au contraire peut-on faire du temps un allié ?  Sommes-nous victimes du temps contre lequel il serait inutile de lutter ou pouvons-nous au contraire nous en servir ?

Enjeux : La façon dont nous considérons le temps a une implication immédiate sur la façon dont chacun considère sa vie et agit. Si le temps est considéré comme essentiellement destructeur, alors la vie devient difficile vivre, nous subissons.

 

Plan détaillé

 

I Le temps est destructeur parce qu’il est chronophage

1) Le temps est par définition chronophage (mythe de Chronos)

2) Le temps n’existe que pour s’anéantir (Saint Augustin, le passé n’est plus) 

3) Le temps biologique est destructeur « Les ravages du temps », le vieillissement (Heidegger)

4) Il ne détruit pas simplement l’homme 

L’image du Fleuve (Héraclite)  Irréversible "Nous ne nous baignons pas deux fois dans le même fleuve"

.Deux significations

Le « jamais deux fois » Impossibilité de se mettre sur la berge, l’impossibilité de revivre un évènement Chaque instant est unique.

«Le « plus jamais »  L’irrévocable. (Nostalgie, regrets, remords…)

5) A l’horizon, la mort.

 

Transition : Peut être confond-t-on le temps et ce qu’il y a en lui ? L’irréversibilité indique un sens, mais non une qualité. L’irréversibilité marquerait un sens et non une appréciation.

 

II La neutralité du temps. C’est un réceptacle sans sens (Temporalité essentielle : le présent)

1) Le temps absolu de Newton, indifférent aux évènements qui se passent en lui.

2) Le temps n’est qu’une forme qui permet la connaissance (Kant- Il n'est qu'une forme de l'intuition)

3) Le temps à partir d’Einstein ne fait que compter des successions ou des simultanéités.

4) La question de la réversibilité des  phénomènes physiques. Si certains phénomènes physiques sont réversibles, le temps est-il pour autant créateur ?

5) Le temps est ce que nous en faisons. Le temps est limite a priori, mais neutre.

 

Transition : Si on a la possibilité d’un temps vide, on a la possibilité d’en faire ce que l’on veut.  L’irréversibilité du temps peut être vue au contraire comme ce qui rend la création possible.

 

 

III Le temps est créateur

1)     Le temps commence avec Zeus et non Chronos. Temps cyclique contre temps linéaire.

2)     L’irréversible donne sens à la vie

Sans  l’irréversibilité  il n’y a pas d’impératif du « faire ». Le temps permet tout : chance et non malédiction.

3)     L’éternité est ce qui justement n’a aucun sens.

4)     L’immortalité ne permet pas la création.

5)      Le temps est ce que nous en faisons (Sénèque)

6)     Le temps comme durée créatrice (Bergson)

7)     L’exemple de l’œuvre d’art comme création absolu et imprévisible nouveauté

 

Conclusion : l’essentiel du temps n’est pas d’être destructeur mais bien irréversible. L’irréversibilité du temps est bien une caractéristique objective tandis que l’idée de la destruction du temps, peut être considéré comme accidentel en fonction de la subjectivité du sujet qui le considère.

 

 

Références proposées par le professeur      

- Ovide, Les métamorphoses (1 ap. J.-C.) : le mythe de Chronos

- Saint Augustin, Confessions (397-397 ap. J.-C.), Livre XI, § XIV, XVIII et XX : le temps n’existe que pour s’anéantir

- Martin Heidegger, Etre et temps (1927) : l’homme est né pour mourir

- Héraclite (VIème s. av. J.-C.), "Nous ne nous baignons pas deux fois dans le même fleuve"

- Pascal, Pensées (1669), Brunschvicg 172 / Lafuma 47 : « nous ne tenons jamais au temps présent »

- Newton, Les principes mathématiques, de la philosophie naturelle (1687) : temps absolu et temps relatif

- Kant, Critique de la raison pure (1781), Esthétique transcendantale, 1ère section : le temps n’est qu’une forme qui permet la connaissance

- Sénèque, De la brièveté de la vie (49ap. J.C.) :le temps est ce que nous en faisons

- Bergson, La pensée et le mouvant (1934), 1ère partie : distinction temps / durée

- Bergson, L’évolution créatrice (1907) : la durée est créatrice

- Sartre, L’Etre et le Néant (1943) : la dépendance du passé à l’égard du présent

 

Références musicales:

- Alexandre Desplat, Good and evil (BOF Tree of life)

- Etienne Schwarcz, La tempête du temps

- Bach, Aria from the Goldberg variations (BOF Le patient anglais)

- Charles Trenet, La vieille

- Charles Dumont, Notre éternité

- Jacques Brel, Vieillir

 

Archives:

- Crème anti-rides venin de serpent

- Paul Ricoeur en 1969 sur la mort et l'éternité


 

 

Texte de Kant

« Le sentiment d’un tribunal intérieur en l’homme « devant lequel ses pensées s’accusent ou se disculpent l’une l’autre[1] » est la conscience.

Tout homme a une conscience et se trouve observé, menacé et surtout tenu en respect (respect lié à la crainte) par un juge intérieur, et cette  puissance qui veille en lui sur les lois n’est pas quelque chose qu’il se forge à lui-même arbitrairement, mais elle est inhérente à son être. Sa conscience le suit comme son ombre lorsqu’il pense lui échapper. Il peut bien s’étourdir ou s’endormir par des plaisirs ou des distractions, mais il ne saurait  éviter de revenir à lui ou de se réveiller de temps en temps dès lors qu’il en perçoit la voix terrible. Il peut arriver à l’homme de tomber dans l’extrême abjection[2] où il ne se soucie plus de cette voix, mais il ne peut pas pourtant éviter de l’entendre.

Cette disposition intellectuelle originaire et (puisqu’elle est représentation du devoir) morale, qu’on appelle conscience a en elle-même ceci de particulier que, bien qu’en cette sienne affaire l’homme n’ait affaire qu’à lui-même, il se voit pourtant contraint par sa raison de la mener comme sur l’ordre d’une autre personne. Car l’affaire consiste ici à conduire une cause judiciaire (causa) devant un tribunal. Mais concevoir comme ne faisant qu’une seule et même personne avec le juge celui qui est accusé par sa conscience est une manière absurde de se représenter une cour de justice car, s’il en était ainsi, l’accusateur perdrait toujours. C’est pourquoi, pour ne pas être en contradiction avec elle même, la conscience de l’homme, en tous ses devoirs, doit concevoir un autre (qui est l’homme en général) qu’elle même comme juge de ses actions. Maintenant cet autre peut être une personne réelle ou une personne purement idéale que la raison se donne à elle-même. »

 

                        Emmanuel KANT, Métaphysique des mœurs, II Doctrine de la vertu ch.1 §13

 

[1] Saint Paul, Epître aux Romains. (II, 14-15) : « Quand des nations qui n’ont pas de loi pratiquent naturellement la Loi, elles qui n’ont pas la Loi se tiennent lieu de loi ; elles montrent l’œuvre de la Loi  inscrite dans leurs cœurs, comme en témoignent leur conscience et leurs pensées qui les accusent ou les disculpent » : « comme en témoignent » : les païens même se posent des cas de conscience.

[2] Extrême degré d’abaissement, d’avilissement

 

Explication du texte de Kant, extrait de la Doctrine de la vertu

 

Plan du texte :

1° Début  du texte jusqu’à « éviter de l’entendre», ligne 11

Dans un premier temps, Kant s’efforce d’entrer dans cette conscience humaine pour la décrire en quelque sorte psychologiquement, alors qu’il se trouve confronté à quelque chose qui ne relève pas de l’expérience.

 

2° De «cette disposition intellectuelle … », ligne 12 jusqu’à  la fin

Puis, dans un deuxième temps, il explique comment la conscience se retourne contre elle-même, comment elle se donne tort à elle-même. Du coup la conscience qui surgit ainsi dédouble l’homme. L’expérience de la conscience morale nous conduit ainsi à une expérience de l’altérité à soi. Comment peut-on, tout ensemble, être soi-même tout en étant un autre ?

 

I. Description de la conscience (début à ligne 11)

1) Comment définir la conscience ?

            Kant part d’une définition de la conscience. Elle est « le sentiment d’un tribunal intérieur en l’homme «devant lequel ses pensées s’accusent ou se disculpent  l’une l’autre» ». La conscience est ce qui, en nous, nous accuse et nous tentons de nous défendre. L’homme a la volonté de se défendre, de ne pas se laisser accuser, car il a toujours le désir de s’innocenter (en se donnant des raisons d’agir comme il a agi), et en même temps lui apparaît la puissance d’une autre voix, celle de la conscience, qui le soumet,  l’accuse.

Cette conscience est présente en tout homme : « tout homme a une conscience », et c’est pourquoi elle est universelle et aussi bien constitutive de l’être de l’homme. Elle nous définit car tout homme est nécessairement un être conscient. Chacun, doué de conscience, est ainsi l’égal de chacun. Du fait de sa conscience, l’homme se sent «observé ». Rien n’échappe au regard de notre conscience car nous savons que nous avons à répondre de ce que avons fait. Et nous ne pouvons pas ne pas savoir ce que nous avons fait. Cette impression d’être regardé, épié fait penser à ce qu’écrira Victor Hugo, dans La Légende des siècles : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

Aussi est-ce parce que nous portons en nous ce juge intérieur que nous nous sentons « menacé, tenu en respect (respect lié à la crainte)».  Mais si nous éprouvons de telles  impressions d’inquiétude et de soumission, c’est parce que nous sommes face à quelque chose qui nous dépasse. Qu’est-ce qui en nous est plus grand que nous ? Ce qui caractérise la conscience, c’est la manifestation d’une puissance. La conscience morale « est une puissance qui veille sur les lois. » Ici puissance ne signifie pas une force physique qui s’exerce par une contrainte extérieure. Ces lois sont les lois morales, qui obligent intérieurement, les lois de la raison pratique, laquelle nous ordonne d’agir d’une manière universalisable. Kant appelle raison pratique, (pratique c’est-à-dire agissante), la conscience morale.

 

2) La conscience, une puissance à laquelle on ne peut échapper

Cette puissance n’est pas « forgée arbitrairement » autrement dit elle n’est pas plus un produit de l’éducation qu’un résidu de l’habitude. Elle n’a pas été forgée, produite par une éducation sévère qui aurait imprimé en nous ses chaines, un rapport au monde dont on ne pourrait se dessaisir. C’est la raison pour laquelle la conscience morale ne peut-être ramenée au Surmoi freudien. La conscience n’a par ailleurs rien à voir avec un conditionnement. Dans notre texte, les concepts d’universalité et d’arbitraire s’opposent. Kant distingue précisément ce qui définit la conscience et ce qu’elle « n’est pas ». En effet, si les lois étaient forgées arbitrairement, la conscience ne serait pas la même en tout homme. Kant estime que la conscience est inhérente à l’homme, indissociable de sa nature, et il exprime cette thèse par une comparaison : « elle le suit comme son ombre » De même que l’ombre ne peut pas être séparée d’un corps, de même la conscience n’est pas détachable de l’être humain.

L’homme ne peut pas s’en affranchir. Il peut essayer d’y échapper, de l’éluder : « de s’étourdir ou s’endormir », mais il ne peut « éviter de revenir à lui » la conscience est nécessairement présence à soi et retour sur soi. L’homme ne peut être dans le divertissement ou l’inconscience que momentanément.  C’est pourquoi, on ne peut pas lui échapper et ne pas entendre cette « voix terrible », terrible parce qu’elle nous rappelle que nous ne sommes jamais à la hauteur de ses exigences.  L’homme peut transgresser « ne pas écouter » ce qui lui dit sa conscience », c’est-à-dire désobéir, mais cette conscience est irréductible, elle n’est pas détruite par l’action qui la nie. Nous ne pouvons pas échapper à nous-mêmes, cette voix nous appartient, elle est nous. Nous ne pouvons pas ne pas l’entendre, même si nous pouvons agir contre elle.

 

Transition  

            Après avoir personnifié la conscience, et décrit précisément la manière dont elle se manifeste à nous, par son regard auquel rien n’échappe et sa voix terrible, Kant revient sur le paradoxe impliqué par l’image du tribunal intérieur. Comment  l’homme peut-il se juger lui-même ?

 

II. L’expérience de l’altérité à soi (ligne 12 à fin)

            Dans un second moment Kant va expliquer pourquoi la conscience, parce qu’elle se donne tort à elle-même, apparaît comme faisant l’expérience d’une altérité à soi. La conscience morale n’implique-t-elle pas en effet que ce qui en moi juge, ce qui dans ce cas me condamne et me donne mauvaise conscience, soit différent de ce qui en moi est jugé ?

 

1) La conscience, une disposition « intellectuelle originaire »

La conscience est d’abord qualifiée de disposition « intellectuelle originaire ». Le qualificatif « originaire » pourrait être rapproché de la thèse rousseauiste selon laquelle la conscience est un instinct divin. Cependant « originaire » n’est pas synonyme d’instinctif ou d’inné, mais s’oppose à contingent et signifie nécessaire et universel. Kant insiste sur le fait qu’on ne peut pas ne pas avoir une conscience et que tout homme en a une, parce que la conscience est inhérente à l’homme, comme il l’a dit plus haut. Ce qui est originaire est ce qui rend possible un être.

La conscience est une « disposition intellectuelle » car elle est cette faculté qui nous est propre et qui nous permet de penser. Le « je pense » accompagne toutes nos représentations. Il est la forme originaire de toutes nos représentations, y compris de la représentation de la loi morale. Cette disposition intellectuelle est ce qui rend aussi possible la « représentation du devoir ». Elle est donc non seulement intellectuelle, mais aussi « morale », c’est-à-dire pratique. C’est une même conscience qui est au principe de nos représentations intellectuelles et de la représentation de nos actions.

            L’homme agit en fonction de ce qu’il se représente. Il peut se déterminer à partir de représentations qui affectent sa sensibilité (et dans ce cas il n’est pas libre mais déterminé par la nature), ou bien il peut se déterminer à agir par la représentation de principes dont la forme est universelle. Rappelons ici que Kant avait formulé dans les Fondements de la Métaphysique des mœurs cette première formulation de l’impératif catégorique (catégorique : qui commande inconditionnellement) : « Agis toujours de telle sorte que la maxime de ton action puisse devenir une loi universelle ».

 

2) Obligation morale et raison

L’obligation morale est ce qui permet à l’homme de se déterminer par la raison, c’est-à-dire universellement. La conscience exige de nous l’universel et humilie notre moi égoïste, anéantit notre présomption. Or cette conscience par laquelle l’homme peut affirmer sa liberté (en agissant de manière universalisable et inconditionnée) est ce qui est le plus contraire à notre moi sensible, empirique. L’être humain aspire aussi à la satisfaction de ses désirs. Dans d’autres textes Kant rappelle souvent que nous sommes des « êtres raisonnables, mais finis », l’homme entend la voix de la raison en lui, il est capable d’agir par raison, mais il est aussi un être fini. C’est pourquoi l’homme se dédouble. Il est intérieurement divisé entre la voix de sa conscience qui lui impose le respect et ses désirs particuliers. Et c’est du fait de ce dédoublement que la loi de liberté apparaît comme une contrainte. Dans le tribunal intérieur, la voix accusatrice est la voix qui vient de la raison.

Kant peut revenir alors sur l’image apparemment « paradoxale » d’un tribunal intérieur. Certes, la particularité de ce tribunal intérieur est que l’homme n’a affaire qu’à lui-même, mais tout en n’étant confronté qu‘à lui-même, ce qui semble « contradictoire », il se voit « contraint par sa raison » de se juger « comme sur l’ordre d’une autre personne ». La voix accusatrice, qui est pourtant la sienne, lui apparaît comme une contrainte, comme si cette voix était celle d’un autre.  Car cette voix exprime en lui l’exigence du principe pensant, du principe qui exige l’universel, et elle écrase le moi dans sa particularité égoïste. Kant peut alors conclure en affirmant que l’autre en soi-même « peut être une personne réelle ou une personne purement idéale que la raison se donne à elle-même ». Notre conscience nous impose de respecter l’exigence de l’universel en nous comportant avec l’autre être humain, qu’il soit réel ou simplement représenté dans notre conscience. Ne pas écouter sa conscience, mal agir consiste à préférer à l’universel sa propre particularité.

 

 

Conclusion

            Dans ce texte, Kant part d’une représentation de la conscience comme tribunal intérieur, qui bien que banale, est paradoxale car si le juge est l’accusé, le jugement rendu ne peut être qu’injuste et le juge apparaîtra dans toute sa faiblesse. C’est pourquoi Kant affirme d’abord que la conscience est une puissance et insiste sur le caractère universel et nécessaire de la conscience, la permanence de sa présence en nous et le fait qu’elle est indestructible, même lorsque nos actes la nient. La conscience est l’expression d’une voix que nous ne pouvons tirer que de nous même et qui pourtant nous dépasse. L’homme recueille nécessairement en lui la sublimité de la loi morale qui lui impose le respect, car elle terrasse en lui sa présomption. En ce sens tout homme s’éprouve inévitablement toujours dans un décalage et une non coïncidence avec soi, car il est dans la tension entre son être qui veut la particularité et son devoir être qui lui ordonne d’agir universellement. Ce texte prouve que l’homme a une disposition originaire bonne et qu’il ne peut pas devenir diabolique.  Car le diable serait celui qui se serait affranchi de toute conscience morale. Enfin ce texte nous permet de comprendre ce qui cause en nous le dédoublement  et produit de ce fait l’opposition, en nous-mêmes, de nos pensées.

 

 

Références musicales:

- Gilbert Bécaud, Le condamné

- Chris Isaak, Baby did a bad bad thing

- Jacques Dutronc, Fais pas ci, fais pas ça

- Christophe Demarthe, Taureau

 

Archive:

Michel Foucault, la fonction du juge dans la société


 

Texte de Bachelard

 

 

Expliquez le texte suivant :

 

"Quand on cherche les conditions psychologiques des progrès de la science, on arrive bientôt à cette conviction que c'est en termes d'obstacles qu'il faut poser le problème de la connaissance scientifique. Et il ne s'agit pas de considérer des obstacles externes, comme la complexité et la fugacité des phénomènes, ni d'incriminer la faiblesse des sens et de l'esprit humain : c'est dans l'acte même de connaître, intimement, qu'apparaissent, par une sorte de nécessité fonctionnelle, des lenteurs et des troubles. C'est là que nous montrerons des causes de stagnation et même de régression, c'est là que nous décèlerons des causes d'inertie que nous appellerons des obstacles épistémologiques (1). La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres. Elle n'est jamais immédiate et pleine. Les révélations du réel sont toujours récurrentes. Le réel n'est jamais « ce qu'on pourrait croire » mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser. La pensée empirique est claire, après coup, quand l'appareil des raisons a été mis au point. En revenant sur un passé d'erreurs, on trouve la vérité en un véritable repentir intellectuel. En fait, on connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant des connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l'esprit même, fait obstacle à la spiritualisation."

 

Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique.

 

(1) Obstacle d’ordre scientifique.

La connaissance de la doctrine de l'auteur n’est pas requise. Il faut et il suffit que l’explication rende compte, par la compréhension précise du texte, du problème dont il est question.

 

Éléments de problématique :

 

Le texte pose la question du progrès scientifique, de ses conditions, son moteur. Dans quelle mesure progresse-t-on dans les sciences ? Selon quel critère ?

 

Bachelard propose une réponse qui va à l’encontre de la représentation habituelle de l’évolution des sciences (celle du sens commun et des scientifiques eux-mêmes). Pour Bachelard, la science n’avance pas par paliers successifs ou cumulatifs et rejet automatique des erreurs, mais au contraire par l’erreur, sa réalisation et sa correction.

 

Sa thèse se construit sur le principe de l’ « obstacle épistémologique », c’est-à-dire ce qui produit une interférence entre le scientifique et son objet : le savoir scientifique lui-même, le fait de chercher à connaître le monde.

 

Le texte soulève un enjeu : la nécessité de chercher à connaître les phénomènes tout en acceptant puis en dépassant l’obstacle épistémologique. En tout état de cause, la connaissance conçue comme certaine car infailliblement déduite des procédés courant de démonstration, est remise en cause par Bachelard.

 

Plan du texte :

 

1. De « Quand on cherche… » à « de l’esprit humain » - Affirmation de l’obstacle comme moteur de la science et précision sur ce qui n’est pas la nature de cette obstacle.

1.1. De « Quand on cherche… » à « le problème de la connaissance scientifique » - Affirmation de l’obstacle comme constitutif de la science.

Mais quel type d’obstacle ?

 

1.2. De « Et il ne s'agit pas de considérer… » à « de l'esprit humain » - L’obstacle ne se trouve ni dans l’objet de la science (les faits complexes) ni chez le sujet scientifique (ses faiblesses).

Alors quelle est la nature de l’obstacle ?

 

2. De « c’est dans l’acte même de connaître… » à « toujours récurrentes » - Explication de la véritable nature de cet obstacle : le fait même de connaître.

2.1. De « c'est dans l'acte même de connaître » à « des troubles » - L’obstacle dit « épistémologique » : il tient dans le rapport du scientifique à son objet.

Quelle conséquence ?

 

2.2. De « C'est là que » à « obstacles épistémologiques » – Énonciation de l’effet de ce type d’obstacle : la science stagne, voire recule.

Comment se remet-elle dès lors en marche ?

 

2.3. De « La connaissance du réel » à « toujours récurrentes » – La science ne voit les phénomènes que partie après partie.

De là, comment la science se construit-elle ?

 

3. De « Le réel n’est jamais... » à « spiritualisation. » – Énonciation d’une méthode face à l’obstacle épistémologique : un retour vers le passé afin de mieux avancer.

 

3.1. De « Le réel n'est jamais… » à « mis au point. » – Les croyances immédiates de l’expérience doivent être confirmées par une rationalité scientifique qui ne peut se mettre en place que progressivement.

Les erreurs sont-elle, dès lors négatives ? i.e. non.

 

3. 2. De « En revenant… » à « spiritualisation. » – La connaissance scientifique suit un mouvement rétroactif qui élimine ou rectifie les erreurs antérieures.

 

Références musicales:

- Logreybeam,This torment and this thought

- Les Malpolis, Les scientifiques

- Chanson Plus Bifluorée, L'informatique

 

Archives:

- Entretien avec Gaston Bachelard à propos de son livre Le nouvel esprit scientifique en 1952 extrait de l'anthologie du XXème siècle (Frémeaux et Associés)

- Michel Foucault à propos de Gaston Bachelard extrait d' Un certain regard (02/10/1972)

 

 

Commentaires
C
Yep ! cours de philo en terminale : un souvenir de l'absurde... dans une de mes premières dissertes, j'avais glissé "la vérité est ce que vous dit la voix intérieure" de Gandhi, c'était donc foutu d'avance niveau bourrage de crâne... on a tous fini l'année en tapant la belote, au bac j'ai choisit un sujet global sur la superstition, expliquant entre autre que j'habitais depuis des années à un N° 13, et quelques mots sur les délires des superstitions religieuses... l'amour de la Vérité suit le doigt vers Soi ;-)<br /> <br /> et heureusement, Bachelard aimait rêver...:-)
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