Shivaïsme du Cachemire : Poésie et mystique

Utpaladeva (900- 950 ) est un mystique et philosophe de la tradition du Shivaïsme du cachemire.
Utpaladeva a écrit certains des principaux traités de cette spiritualite non-duelle, mais il est aussi l'auteur de magnifiques poèmes où s'expriment l'amour et la dévotion du disciple pour l'Un, le Seigneur Shiva aux trois yeux. On peut les lire en français dans une bonne traduction de Bonnet.



Voici quelques uns de ces hymnes. On pense à Rumi en les lisant.

Utpaladeva qui pourtant se situe dans une perspective non-duelle se présente ici comme un adorateur:

"Là où n'existe nul autre connaissable,
Où ce qui s'illumine, entièrement s'épanouit,
Là dans ta demeure ô maitre,
Laisse-moi séjourner éternellement
Moi ton adorateur."

Utpaladeva exprime ici aussi la souffrance d'être loin de l'absolu et il aspire à la vision de l'un :

"Tout nostalgique,
Passionné pour toi seul
Riche de ta seule adoration
Quand me ferai-je voyant, pour te voir?

"Tu sais, ô maitre, combien j'ai souhaité ardemment
le plaisir des sens
Seulement maintenant accorde-moi de ne désirer
Éternellement
Que la vision immortelle de ta forme pure."

"Pour mon esprit avide de voir le coeur
Du lotus de ton visage éternellement épanoui,
Fais en sorte d'apparaitre ô maitre,
Furtif même, toi qui reste tourné vers moi."

Cette vision ne requiert pourtant aucun effort :

""Rien n'est requis pour s'établir
En sa nature propre éternelle,
Lumière manifeste !
Cette intuition, qu'elle demeure inébranlable,
Pour moi qui suis purifié par la poussière
Des lotus de tes pieds."

"Quelle terre n'habites-tu pas,
Qu'est-ce qui existerait sans ta forme pure?
Alors moi qui suis làs
Que je te rejoigne partout sans effort."

Cette union avec l'un se manifeste surtout comme vision :

"Même un seul instant ô souverain
Si je suis distinct de toi
Immédiatement je me consume !
Alors reste continuellement dans le champ
De ma vision."

"O souverain immortel adoré des grands êtres,
Perpétuellement tu demeures
Sous la forme unique de celui qui adore!
A l'extérieur comme à l'intérieur contemplé,
Continuellement tu vibres
Dans le corps même de celui-qui-voit"

Mais Utpaladeva parle aussi parfois du toucher :

"Sur ceux qui sont avides de ton toucher
Et de ta vision dans leur méditation
Déferle l'océan de ton amour ô seigneur,
Suave et rafraichissant."
 

Alors, pour ceux qui réalisent cette expérience d'union avec Shiva, c'est la disparition de toutes les limites :

'Satisfaits d'avoir englouti
Les limitations individuelles,
Telle la temporalité, la causalité,
Le désir déterminé...
Ô maitre, ils vivent heureux ces être pleins d'amour,
Sur les rivages de l'univers."

Alors, dans la non-dualité, la non-séparation, le monde est vu comme le corps de Shiva, pure conscience, vibrant dans un élan d'émerveillement, d'amour et de joie profonde.

Voir aussi l'excellent ouvrage de David Dubois sur Utpaladeva

Comments

[Eric-Francis DM]

Nous avons tendance à ressasser "en boucle"... :o)

« ... jeu entre dieu et dieu. » est un concept dans notre psyché.

Se raconter une dualité ceci ou une dualité cela, ce jouer la comédie tragi-comique d’une unicité enfermée dans des pensées, dans la psyché individuelle ou collective est une histoire.

La vie est vivante sans séparation: Manifestée sur l’écran hollywoodien de nos neurones qui nous permettent de penser puis d’exprimer nos idées par des mots et tournures de phrases où non, elle est de sa nature.
Elle est vivante, et sa nature, pas de l’ordre d’une projection sur gélatine pelliculaire cérébrale.

Ceci n’enlève rien au fait que nous sommes vivant et regardons par le passage en réciprocité de nos cinq sens entiers.
Ce que nous nommons : "Le non duel" et "la dualité", ne devraient pas devenir des contraintes tyranniques sur l’Esprit qui nous anime et s’amuse à communiquer entre nous !!
:+)

J’ai eu bien du plaisir…

[Eric-Francis DM]

Oui, José, "mea culpa, mea culpa » ! :o) !!
Pas assez attentif ou trop précipité (mal du siècle !)
Le fait qu’il n’y a pas de titre "séparateur" de couleur orange à tes interventions a fait que mon attention n’a pas été attirée sur le fait que c'est l'ami Duc qui avait rédigé un commentaire, puis toi un autre.

Lapsus utile puisqu’il nous permet d’approfondir (* la métaphysique étant sans fond et disons l’arrière-fond, il est impossible de l’intercepter, de se la représenter par une quelconque réflexion mentale et de sen faire une image concrète qui serait échangeable).

La triunité divine du christianisme est l'équivalent de celle que propose la tradition indoue, je crois (je ne suis pas « spécialiste »).

Le "départ" de la métaphysique (pas au sens de commencement de la métaphysique, mais à celui d'avoir l'illusion de se séparer de la métaphysique pour se vivre, se représenter vivre) est la Conscience Un. C'est cette "variante" de La Conscience consciente d'être en tant que Sujet ne pouvant au grand jamais objectivé, qui constitue en quelque sorte la toute première dualité.
Reconnaissons que c'est très subtil et que le côté rationnalisant de notre cortex n'y trouve guère son compte.
Il se trouve que je n'ai pas cette difficulté. L'Esprit UN qui anime mes pensées n'est pas le cul entre deux propositions dont l'une serait matérialiste donc empreinte de dualité et l'autre spirituelle, l'une concrète l’autre abstraite et séparées.

Contrairement à un mode de pensée très répandu, cela n'entraîne pas un retrait dans une sorte de tour d'ivoire qui éloignerait ou couperait de la vie de tous les jours parmi ses semblables.

Nous nous rejoignons sans aucune difficulté, dans ce que tu signifies, José, qu’en effet comment se pourrait-il que la non dualité laisse subsister un « Adoré » et un « adorateur », ce qui suppose, même nié, une certaine séparation.

« Peut-être qu'au sein de l'un, une certaine multiplicité vibre encore, mais qui n'est plus une illusion plutôt un jeu entre soi et soi.
L'un ne peut être le dernier mot de la spiritualité, car c'est encore un mot.» (Formulation par José)
 J’acquiesce volontiers, si l’UN peut être considéré comme le dernier mot d’une spiritualité bien mise en perspective, le dernier mot possible reste si l’on peut dire « en suspension » et reste en deçà de la réalisation métaphysique.

 Au sein de l’Unité le Soi, le soi et l’esprit qui leur est commun « à trois » est UN, le soi et le soi se la joue sans séparation

 A proprement parler, ce n’est pas un mystère ; ou, pour être plus précis et incisif, ça ne reste un « mystère » que pour un quelqu’un présentant encore une certaine consistance séparative vis-à-vis de ce qui ne l’est qu’apparament.

[Duc]

Donc l'histoire du moment présent est essentiellement de bien comprendre que ce que nous vivons là tout de suite est une création hollywoodienne unique et géniale.

Et que ça va pas se reproduire...

[Duc]

"plutôt un jeu entre soi et soi"

C'est obligatoirement un jeu entre dieu et dieu.

En réalité je pense qu'il faudrait une fois compris le subterfuge de la dualité, c'est à dire une fois qu'on a cette compréhension qu'il y a dualité comprendre la chance que cette dualité représente.

C'est une réalisation. Lorsque vous regardez un objet, un lieu, n'importe quoi savoir que c'est votre séparation qui vous permet de le contempler.

Et c'est ça qu'il faut piger.

La dualité est une chance incroyable avant d'être une croix.

C'est un peu comme prendre des vacances pour l'unité. L'unité s'amuse à être différente d'elle même. C'est la seule manière de comprendre intellectuellement la vérité je pense.

[Duc]

Scusez je me suis trompé de message il semblerait.
Je répondais (après coup) a un message de Eric dans lequel il parlait de la peur de perdre l'autre.
Pas grave désolé du bug... ;)