Ne construisez pas de discours?

Dans un commentaire sur ce blog, Pierre Gautier (professeur de philosophie et qui par ailleurs anime un blog sur les sociétés modernes) écrit:

"Enfin je persiste à ne pas comprendre pourquoi les partisans de la non-dualité éprouvent tant le besoin de verbaliser."

Je comprends la critique: si il y a vraiment une non-dualité, pourquoi écrire? Qui parle à qui?

Première réponse: la plupart des hommes et femmes qui ont vécu la non-dualité n'ont pas écrit. Les traditions spirituelles font état de ces éveillés qui étaient laboureurs, vachers, artisans et qui n'ont jamais cherché à écrire des traités. Ils vivaient la non-dualité dans le quotidien. Parfois, ils enseignaient, souvent non.

Je me souviens qu'un jour en Angleterre Douglas Harding me dit : "José, je vais te faire rencontrer une femme qui voit très clairement sa vraie nature, mais elle ne le dit pas. Elle n'en témoigne pas, mais elle est très claire." Et nous nous rendîmes, après deux heures de voiture, chez une femme adorable au regard bleu et transparent comme un torrent de montagne, adorable comme un cœur, riant toujours, et qui nous reçut avec grâce. Je ne me souviens plus de son prénom, mais nous échangeâmes sur l'éveil et la vision, qu'elle vivait avec profondeur.

Beaucoup de maitres d'ailleurs ont mis en garde contre les discours. Ainsi Bodhidharma a dit :

"Ne construisez pas de discours,
Pointez directement l’esprit.
Faisant face à la nature originelle de
l’homme
Réalisez immédiatement Bouddha."

Il a raison. On se perd dans les discours et la philosophie.Pointons directement dans la vacuité.

Mais deuxième réponse: Une fois qu'on a vu sa vraie nature, pourquoi ne pas jouer à construire des discours? Les mots apparaissent dans la vacuité dont ils sont comme une décoration, un scintillement, une expression. Le discours est alors un jeu, écrit par personne.

Pourquoi le pommier donne-t-il des pommes? Pourquoi le soleil brille-t-il? Pourquoi la rose fleurit-elle?

A travers celui qui écrit sur la non-dualité, c'est le Soi lui-même qui prend conscience de lui, qui s'admire. Dans la joie.

Wittgenstein a écrit une phrase bien connue:

"Il y a assurément de l'inexprimable. Celui-ci se montre, il est l'élément mystique. Ce dont on ne peut pas parler, il faut le taire." Tractatus logico-philosophique

Je dirai pour ma part :" Ce dont on ne peut parler est ce qui nous permet de parler. Pourquoi ne pas essayer de le dire? C'est très interessant."

Et avec un peu de chance, cette philosophie conduira aussi quelqu'un d'autre à voir sa vraie nature...Même s'il n'y a pas d'autre, l'ignorance est vécue comme si elle était réelle; elle fait souffrir.

Certains mots quand ils émanent de la non-dualité en gardent comme un parfum, et celui qui les découvre y trouve son propre parfum. Les mots qui viennent de la source ont le pouvoir de ramener celui qui les lit à sa propre source, à la non-dualité, à l'unité, où nous sommes UN.

Qui écrit à qui dans la non-dualité?

Cela c'est un mystère à vivre.

josé le roy (?)

Comments

[josé]

Oui c'est vrai ; grâce aux outils de Douglas Harding, on peut aller au-delà des mots vers ce qui se tient en amont des concepts.
Nous l'avons encore vérifié ce week-end pendant l'atelier de Paris.

[Berit]

La non-dualite est en dehors des mots,c'est pour ca que les experiments de Douglas ont une telle valeur.

[Jean Louis]

La dualité, c'est l'erreur, ou l'ignorance. C'est ce qu'il faut comprendre, découvrir. Et la non-dualité apparaîtra d'elle-même, comme étant ce qui est et ce qui a toujours été.
C'est parce qu'on en faisait un objet de quête qu'on ne la voyait pas.

Mais on ne peut la rendre directement compréhensible au penseur ou au connaisseur comme étant un objet de connaissance. Le penseur ou le connaisseur verra toujours de la dualité partout et fera de n'importe quelle explication sur la non-dualité une conception duelle puisqu'il y a séparation entre le connaisseur et sa connaissance.
Le connaisseur ne comprendra jamais.

[Laurent]

Je pense au contraire que c'est très utile d'écrire sur la non-dualité, et je suis très heureux que Longchenpa ou Douglas Harding ou d'autres l'aient fait. On n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau! C'est pour cela que je suis éditeur ! Il est temps que le monde entende cet enseignement. Pour celui qui n'est pas prêt, cet enseignement n'a de toute façon pas de sens.
jlr

[patrice]

plutôt que se demander pourquoi les partisans de la ND ont besoin de parler, on peut se demander: à quoi ça sert?
Et je pense franchement que ça ne sert pas à grand chose. Le mental n'est pas outillé pour ne serait-ce que se faire une idée juste de l'expérience de la non dualité, dont il est par définition exclu. Toute idée sur la non dualité n'aura malheureusement rien à voir avec l'expérience (je ne parle même pas de la réalisation) de ce dont il s'agit.

De plus il me paraît même dangereux de vouloir se faire une idée de cela. Le danger réside dans le fait de croire que parce qu'on comprend de quoi il s'agit, on connaît le sujet. D'ailleurs, avec la littérature pléthorique dans ce domaine, les blogs etc, on voit apparaître de plus en plus de personnes qui sont capables de parler, et même d'enseigner la non dualité de manière convaincante, sans en avoir la moindre expérience.

Les maîtres d'autrefois se gardaient bien de parler de cela à leurs élèves avant le moment où ces derniers étaient prêts à le recevoir, à en faire une expérience directe. Car les idées préconçues sont un obstacle à la reconnaissance, qui est le plus souvent un bref instant différent, et qui n'a rien à voir avec tout ce que le mental peut élucubrer sur le sujet, mais il est facile de passer à côté de cela lorsqu'on est persuadé que ça doit être comme ceci, ou comme cela.